Une Ă©norme croix de bois de trois mĂštres de haut, plantĂ©e dans un cimetiĂšre humide sur un ilot du Rio Jari, entre les Ă©tats brĂ©siliens du ParĂĄ et de l’AmapĂĄ… C’est ainsi que commence l’artcile sur le blog brĂ©silien de Mundo Tentacular (Une croix dans la forĂȘt, les nazis explorent l’Amazonie brĂ©silienne en 1935-1937).

Cette croix n’aurait rien d’incongru, s’il n’y avait pas cette swastika Ă son sommet (voir la photo) et les mots Ă©crits en allemand (traduction ci-dessous)
« Joseph Greiner est dĂ©cĂ©dĂ© ici le 2 Janvier 1936, emportĂ© par la fiĂšvre, au service de l’exploration pour l’Allemagne »
Peu de personnes savent qui Ă©tait cet homme et ce qu’il Ă©tait venu faire au bout du monde. Et encore encore moins savent que cette croix marque un des rares symboles du passage d’une expĂ©ditions commanditĂ©e par le IIIĂšme Reich sur le territoire brĂ©silen en plein dans les annĂ©es 30.
Et pourtant…
Entre 1935 et 1937, une expĂ©dition nazie s’est Ă©tablie sur le fleuve Jari, Ă l’embouchure de l’Amazone, pour y faire de la recherche, de la cartographie. Et surtout faire l’exploration de l’un des points les plus stratĂ©giques etle plus important pour l’accĂšs Ă la rĂ©gion amazonienne. Se prĂ©sentant comme une expĂ©dition scientifique ces hommes ont cartographiĂ© ce qui serait une tĂȘte de pont pour l’invasion des derniĂšres enclaves de l’AmĂ©rique du Sud, dominĂ©e par leurs ennemis britanniques, français et nĂ©erlandais, les Guyanes.

Cependant, des moments dramatiques Ă cause des dĂ©fis insurmontables et des dangers inimaginables ont vite surgi, dĂ©montrant aux nazis toutes les nuances de l’Enfer Vert Amazonien. L’expĂ©dition, Ă l’image de l’Allemagne nazie – ambitieuse, confiante en sa domination du monde et sur le sentiment de supĂ©rioritĂ© raciale – finira noyĂ©e dans les dĂ©lires de puissance.
L’expĂ©dition sous le patronnage de Hermann Goering est arrivĂ©e au BrĂ©sil Ă la mi-1935, pour ensuite dĂ©barquer Ă BelĂ©m (Etat du ParĂĄ). Les Allemands prĂ©tendaient qu’ils Ă©taient en mission spĂ©ciale pour le gouvernement du Reich, et qu’ils avaient l’intention de faire une enquĂȘte sur la gĂ©ographie, la faune et les peuples de la rĂ©gion Amazonienne. Tout cela selon une approche tout Ă fait scientifique et avec des donnĂ©es finales qui devaient ĂȘtre ensuite partagĂ©e avec le gouvernement brĂ©silien.
Les journaux de Rio de Janeiro, notĂšrent leur arrivĂ©e en emettant des rĂ©serves, contestant le fait que les objectifs puissent ĂȘtre pacifiques. Peu de personnes croyaient que ces aviateurs si jeunes et Ă la remarquable carriĂšre militaire pourraient aussi ĂȘtre des scientifiques. Sur ces entrefaits, le chef de l’expĂ©dition, Otto Schulz-Kampfhenkel, devait se rendre Ă la capitale afin d’obtenir une autorisation spĂ©ciale du gouvernement brĂ©silien, dirigĂ© par GetĂșlio Vargas. AprĂšs quelques conversations, le gouvernement Ă©tait prĂȘt Ă l’aider autant qu’il Ă©tait nĂ©cessaire.

Le BrĂ©sil vivait Ă l’Ă©poque une vraie lune de miel avec l’idĂ©ologie nazie. Vargas, et une partie importante des forces armĂ©es, ne cachait pas leur sympathie pour l’Allemagne de Hitler. Le pays, un jour flattait l’Allemagne, un autre jour les Etats-Unis. Et donc c’est ainsi qu’il marchait sur le fil du rasoir, Ă la veille de la Seconde Guerre mondiale, sans pour autant dĂ©cider de quel cĂŽtĂ© pencher. L’Allemagne de Hitler – tout portait Ă le croire – Ă©tait la pilulle blanche pour dominer le monde, a ĂȘtre l’une des nations les plus puissantes de la planĂšte. Il Ă©tait logique de maintenir de bonnes relations avec ces gars-lĂ .
Sans plus tarder, les Ă©trangers ont commencĂ© le voyage, maintenant en compagnie d’un quatriĂšme membre : Joseph Greiner, un allemand vivant au BrĂ©sil et qui servirait de contremaĂźtre Ă l’expĂ©dition.
L’expĂ©dition Ă©tait robuste et n’avait rien de modeste. Elle avait un hydravion adaptĂ© aux riviĂšres amazoniennes, offert par la Luftwaffe, le ministĂšre de l’Air nazi qui sera largement utilisĂ© pour tester des techniques de cartographie aĂ©rienne plus tard utilisĂ©es Ă des fins militaires. Un accord entre les MinistĂšres des affaires Ă©trangĂšres et de la Guerre du BrĂ©sil et de l’Allemagne a assurĂ© une exonĂ©ration fiscale pour plus de 30 tonnes de matĂ©riel apportĂ© d’Europe. Le matĂ©riel comprenait appareils modernes et matĂ©riel de tournage pour la cartographie, ainsi que des armes lourdes et 5000 munitions.

Sur place l’expĂ©dition a embauchĂ© 30 mateiros (forestiers, bĂ»cherons), des connaisseurs de la jungle, des riviĂšres, et qui savaient circuler de maniĂšre naturelle dans un environnement hostile, dominĂ© par des serpents, le paludisme, les piranhas, les moustiques et les prĂ©dateurs.Des Indiens qui connaissait les secrets de la forĂȘt et qui avaient connaissance des remĂšdes naturels faisaient Ă©galement partie de l’expĂ©dition. Les Aparais, une des plus sauvages tribus de la rĂ©gion, a donnĂ© des combattants pour escorter ces Ă©trangers Ă la peau claire et aux cheveux jaunes, Ă l’intĂ©rieur de la forĂȘt.
Mais les choses ont commencĂ© Ă aller mal dĂšs le dĂ©but : l’avion – piĂšce essentielle dans les plans – s’Ă©garait constamment Ă cause du manque de rĂ©fĂ©rences du pilote pour se guider avec prĂ©cision – tout n’Ă©tait que forĂȘt Ă perte de vue. L’avion avait du mal Ă atterrir et Ă dĂ©coller. Le lit du fleuve Jari avait des surprises gardĂ©es sous la surface, de pierre et de bois. AprĂšs une tentative de faire atterrir l’avion, celui -ci a Ă©tĂ© sĂ©rieusement endommagĂ©e au milieu d’un torrent. Servant uniquement Ă transporter le matĂ©riel, avait aussi eut le train d’atterissage dĂ©truit. Devenu totalement inutile dans la jungle, il a Ă©tĂ© dĂ©montĂ© et renvoyĂ© en Allemagne.

Par la suite, la suite de l’expĂ©dition se fera Ă bord de pirogues, bien menĂ©es par des guides de la rĂ©gion. Le transport n’Ă©tait pas le plus rapide, mais il Ă©tait plus appropriĂ© pour l’observation de la faune. RĂ©solus Ă prendre des spĂ©cimens comme des trophĂ©es, les Allemands ont tirĂ© sur tout ce qui bougeait, pratiquant le tir sur cible avec des perroquets et des aras, des paresseux et des tatous, faisant de l’abattage de masse. Quand ils ne tiraient pas, ils enseignaient aux Indiens Ă tirer au fusil Ă lunette. Et en Ă©change ils ont appris Ă utiliser des sarbacanes et des bĂątons de guerre. Dans le domaine de l’Ă©change d’informations, les techniques les plus meurtriĂšres ont Ă©tĂ© le sujet principal partagĂ©.
NĂ©anmoins, la malchance frappait encore, et la forĂȘt semblait rĂ©pudier l’expĂ©dition comme s’il s’agissait d’une infection combattue par des anticorps.
Les pirogues transportant la plupart du matĂ©riel nĂ©cessaire pour la cartographie de prĂ©cision ont coulĂ© lors d’une crue violente. Pour aggraver les choses, certaines des provisions se gĂątĂšrent, obligeant l’Ă©quipe Ă chasser et Ă se sustenter de ce qu’ils pouvaient extraire de la forĂȘt. Les Indiens et les mateiros pouvaient le supporter, pas des Ă©trangers. C’est alors que Joseph Greiner a Ă©tĂ© chargĂ© de se rendre Ă la ville de Santo Antonio pour acheter des fournitures. Ă mi-chemin, il a contractĂ© la malaria et mourut frappĂ© par la maladie quelques jours plus tard. Il a Ă©tĂ© enterrĂ© lĂ -bas, sur une Ăźle du fleuve Jari.

Les autres membres de l’expĂ©dition aussi faisaient face Ă des dangers. Otto Kampfhenkel failli mourir en essayant de remonter les violents rapides du fleuve Jari. Deux de ses collĂšgues ont eu l’appendicite et un autre le paludisme mais il a survĂ©cu. Pour les Indiens, les Allemands ont Ă©tĂ© punis pour le manque de respect envers la nature et surtout pour avoir tuĂ© un anaconda de 7 mĂštres, un animal sacrĂ©.
MalgrĂ© les malheurs et la peur des Indiens, les Allemands Ă©taient dĂ©terminĂ©s Ă suivre en amont. Ils voulaient atteindre la Guyane française de quelque maniĂšre que se soit et faire une derniĂšre tentative pour le faire. Dans cet effort, plusieurs guides se sont noyĂ©s, les pluies du mois de janvier Ă©taient trop fortes et des torrent sauvages ainsi créés contre lesquels il n’y avait pas de combat possible. Face Ă des dĂ©sertions de plus en plus frĂ©quentes, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© d’arrĂȘter l’expĂ©dition sans mĂȘme atteindre l’objectif.
L’Amazone s’est avĂ©rĂ© un trop grand dĂ©fi, mĂȘme pour le TroisiĂšme Reich.
En FĂ©vrier 1937, l’Ă©quipe a descendu la riviĂšre Jari pour atteindre un village oĂč ils se sont ravitaillĂ©s en vivres et ont commencĂ© leur chemin du retour. Mais l’expĂ©dition n’a pas repartie les mains vides, elle avait recueilli de prĂ©cieuses informations sur la rĂ©gion. Plus de 500 peaux de mammifĂšres, 2500 photographies et Ă 2700 mĂštres de film. Ils ont reçu les fĂ©licitations du ministre de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, qui considĂ©rait les rĂ©sultats de cette expĂ©dition comme « politiquement prĂ©cieux et de grande valeur Ă©ducative pour le peuple« .

Tout, ou presque tout, dans cette expĂ©dition a flirtĂ© avec le bizarre. MalgrĂ© toute la propagande vantĂ©e de la puretĂ© raciale, Otto Kampfhenkel, un membre du parti nazi, a fini par vivre une passion torride avec la fille d’un chef Aparai. d’oĂč il rĂ©sulta un mĂ©lange entre la « race « supĂ©rieure allemande » avec une « sauvage ». La chair est faible, et encore plus sur les douces tropiques. Une mĂ©tisse baptisĂ©e CessĂ©, aux yeux Ă©tonnamment bleus, en est venue Ă ĂȘtre appelĂ© par ses contemporains, l’allemande (alemoa).
La tranquillitĂ© de l’interaction entre Indiens et Allemands Ă©tait remarquable. Il y avait du respect et de la sympathie entre les gens, ce qui Ă©tait surprenant compte tenu de la façon dont la doctrine nazie en appelait Ă une prĂ©tendue supĂ©rioritĂ© raciale. La nuit, les membres de l’expĂ©dition se rĂ©unissaient autour du feu de camp pour entendre des valses et des marches militaires qui sortaient du gramophone apportĂ© de Berlin. Avant d’aller dormir, les Indiens donnaient du « bonne nuit » comme on leur avait enseignĂ© : « Gute nacht» disaient-ils.

Toute la documentation sur l’expĂ©dition a Ă©tĂ© analysĂ©e et le haut commandement nazi a envisagĂ© la possibilitĂ© future d’une incursion militaire dans la rĂ©gion. Les gisements de minĂ©raux et de la richesse du BrĂ©sil avait un prix pour lequel il valait la peine de se battre, mais une autre guerre en prĂ©paration attirait dĂ©jĂ toute leur attention. Et les militaires n’osaient pas utiliser des troupes dans une mission qui pouvait attendre la rĂ©solution du conflit. Il ne fait aucun doute que, dans le cas d’une fin positive en leur faveur Ă la fin de la guerre, les Allemands suivraient leurs plans pour occuper la partie nord de l’AmĂ©rique du Sud.
Dans une lettre Ă Hitler, le 3 Avril 1940, l’officier SS Heinrich Peskoller, qui a examinĂ© la logistique de l’opĂ©ration a dĂ©clarĂ© catĂ©goriquement que les mĂ©taux prĂ©cieux de la rĂ©gion – l’or et les diamants – suffiraient Ă mettre fin Ă la situation financiĂšre difficile que l’Allemagne avait contractĂ© pour l’effort de guerre. Outre l’intĂ©rĂȘt financier, Peskoller a dĂ©clarĂ© que la rĂ©gion serait un bon endroit oĂč vivre pour la race aryenne : «La technologie allemande pouvait dompter les nombreuses chutes d’eau, sous la forme de gigantesques barrages hydroĂ©lectriques, traçant un rĂ©seau Ă travers le pays», a Ă©crit Peskoller dans sa note.
En dĂ©pit de cela une deuxiĂšme expĂ©dition n’a jamais Ă©tait planifiĂ©e. La dĂ©cision de ne pas poursuivre ce plan venait du chef des SS, Himmler, qui a soutenu que la guerre avait gagnĂ©e un plus grande proportion et qu’il serait plus judicieux de se concentrer sur les forces allemandes prĂ©sentes sur le front europĂ©en.
Quoi qu’il en soit, c’est effrayant d’imaginer l’intĂ©rĂȘt des nazis pour le patrimoine du BrĂ©sil et de l’Amazonie… et que si la guerre avait basculĂ© en faveur des forces de l’Axe, les choses auraient Ă©tĂ© trĂšs diffĂ©rentes. Au moins, le seul point ornĂ© d’une croix gammĂ©e qui a Ă©tĂ© enregistrĂ© au BrĂ©sil le fut sur une croix dans les environs du Fleuve Jari. Un point de repĂšre silencieux pour une expĂ©dition sur laquelle on sait encore trĂšs peu de choses…
Cet article est une adaptation/traduction de l’article de King in Yellow.
Mais pour en savoir plus avec des textes en français qui peuvent vous servir de sources d’inspiration :
Hitler et la citĂ© perdue d’Akakor
Et le livre sur l’expĂ©dition : Das Guayana-Projekt (Le projet Guyane : les nazis en Amazonie)
Selon cet ouvrage de Jens GlĂŒsing, correspondant en AmĂ©rique Latine de la revue Der Spiegel (qui a rendu compte ici de ces recherches), ce projet serait nĂ© des expĂ©ditions efffectuĂ©es en Amazonie par des scientifiques allemands entre 1935 et 1937. Suite Ă ces sĂ©jours d’exploration, le concepteur du projet, Otto Schulz-Kampfhenzel, a notamment Ă©crit Ă Himmler pour lui faire part de son plan, et aurait rencontrĂ© un certain Ă©cho. Il suggĂ©rait une invasion de l’actuel Surinam et de la Guyane française via l’Amazonie brĂ©silienne et avec l’aide de tribus indiennes, afin de crĂ©er une colonie « aryenne » de peuplement. Cette prĂ©sence amazonienne aurait selon lui permis de rĂ©duire l’influence des Etats-Unis en AmĂ©rique du Sud.

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