Il y a des envies qui reviennent comme des marĂ©es. Ces derniers mois, c’est RuneQuest qui m’a rattrapĂ©.

J’avais commencĂ© jadis, il y a bien longtemps, avec la version française d’Oriflam. À l’époque, ce fut un choc — le bon genre de choc. Enfin un jeu oĂč l’on pouvait faire autre chose que du D&D !

Un monde immense, dense, Ă©trange, traversĂ© de mythes et d’ombres, de dieux et de clans. Je me souviens encore de cette impression de vertige : tant de choses Ă  jouer, Ă  lire, Ă  vivre.

Runequest-Oriflam

Les années ont passé, quelques parties aussi.

J’avais entre-temps tentĂ© l’édition Mongoose — un RuneQuest dans un Glorantha, mais Ă  une autre Ă©poque, et pas vraiment convaincu.

Et puis Chaosium est revenu.

Avec RuneQuest: Adventures in Glorantha, Greg Stafford de nouveau à la barre, Jason Durall et Jeff Richard en orfÚvres du mythe, et enfin, une superbe version française grùce au Studio Deadcrows.

runequest

Cette fois, on y est.

Et j’ai eu envie d’y retourner, de repartir du dĂ©but — ou du moins de replonger petit Ă  petit, ce qui est dĂ©jĂ  un sacrĂ© dĂ©fi dans un monde pareil.

Alors voilĂ  : cette sĂ©rie d’articles servira autant Ă  mes joueurs qu’à moi-mĂȘme, pour remettre le pied Ă  l’étrier et se (re)laisser happer par Glorantha.

Cet article et les suivants reprennent le projet commencĂ© au moment de l’Ă©criture de cet article en avril 2025…

Lire trop, jouer mieux (ou pas)

On peut jouer à RuneQuest avec presque rien. Un D100, une feuille d’aventurier, un temple, et c’est parti.

Mais, Ă  la premiĂšre mention d’un nom — Colymar, Boldhome, Tarsh, Hon-eel, Jonville — me voilĂ  parti Ă  fouiller les vieux fanzines, les Ă©ditions dĂ©funtes, les PDF anglais introuvables (ou trop chers), les notes de Greg Stafford, les forums obscurs de 1999. Un piĂšge Ă  lecteurs. Un puits sans fond.

Et pourtant, c’est ce vertige-là qui rend Glorantha unique.

Le vertige des textes

« Le monde fantastique mythique de Glorantha a Ă©tĂ© créé par Greg Stafford en 1966. […] Des centaines d’ouvrages, jeux, rĂ©cits et jeux vidĂ©o ont dĂ©veloppĂ© et approfondi ce monde. »
— RuneQuest, Livre 1 : Rùgles (2024, Studio Deadcrows)

Tout commence comme un jeu de rĂŽle, puis devient une archĂ©ologie. Chaque Ă©dition, chaque supplĂ©ment, chaque “Guide” ajoute une strate, une nuance, une contradiction assumĂ©e.
RuneQuest, HeroQuest, puis Ă  nouveau RuneQuest.

Les versions se succĂšdent comme des mythes successifs d’un mĂȘme panthĂ©on : aucun n’est faux, tous sont vrais quelque part. Glorantha, c’est un univers qui se relit. LittĂ©ralement.

Jouer avec presque rien

« Si la connaissance du monde n’est pas nĂ©cessaire pour jouer, elle offre une expĂ©rience plus riche et agrĂ©able. »
— RuneQuest, Livre 1 : Rùgles

Le Coffret DĂ©couverte suffit largement. On y trouve Jonville, des aventuriers prĂȘts Ă  lancer un javelot ou une priĂšre, et une poignĂ©e de runes Ă  apprivoiser. Et pourtant, dĂšs qu’on croise un nom, une vallĂ©e ou une tribu, la tentation revient : aller voir d’oĂč ça vient.

Pourquoi les Colymar vivent ici ? Qui Ă©taient les Malani ? Et cette “Passe du Dragon”, on la traverse vraiment ?

Chaque mot est un appĂąt.

Et derriĂšre, un article, un scĂ©nario, des anciennes Ă©ditions du jeu (ou des nouveautĂ©s). A votre avis, combien de temps j’ai rĂ©sistĂ© avant de craquer et d’acheter le supplĂ©ment Lands of Runequest (en vo) ?

Les couches de Glorantha

Le Livre 2 : Le Monde de Glorantha pose le dĂ©cor : un Âge du Bronze vivant, des prĂȘtres-rois, des temples, des citĂ©s-États, et des dieux bien rĂ©els. Pas d’alignement “bon ou mauvais”, mais des loyautĂ©s : clan, tribu, divinitĂ©.

La magie est partout, imprĂ©gnant la vie quotidienne — mĂȘme le mĂ©tal vient parfois des os des dieux tuĂ©s lors de la Guerre des Dieux.

DĂ©jĂ , on sent qu’on n’est pas dans une “fantasy mĂ©diĂ©vale”. On est ailleurs. Plus ancien, plus sacrĂ©, plus Ă©trange.

Puis vient le Kit de la Meneuse, avec ses terres colymar. LĂ , tout s’enracine : Vinclair, les Ernaldori, les guerres contre les Malani, la fondation du royaume de Sartar. On y dĂ©couvre un peuple vivant, rugueux, pas hĂ©roĂŻque mais tenace.

C’est une mythologie qui sent la boue, la biĂšre, le sang sĂ©chĂ© et la pluie sur le bronze. Et chaque ligne de ces rĂ©cits appelle Ă  la curiositĂ© : qui Ă©taient vraiment ces gens, et pourquoi se battent-ils encore ?

Enfin, tout au nord, EschatĂš, “le joyau de la Tarsh lunare”, inverse la perspective : une citĂ© lunaire splendide et inquiĂ©tante, oĂč les temples d’Issaries, de Hon-eel et des Sept MĂšres se cĂŽtoient sous les arches de marbre rouge.

Les Lunars, ennemis des Sartarites, deviennent ici fascinants, ambigus, presque admirables.

Et l’univers se renverse à nouveau.

Lire, c’est voyager

C’est sans doute ce qui rend Glorantha si hypnotique : à mesure qu’on lit, on change de regard.
Chaque supplément déplace la frontiÚre entre le mythe et le politique, le sacré et le trivial.
Une carte devient un territoire, un culte devient une faction, une rune devient un langage intérieur.

Et plus on en sait, moins on sait “quoi jouer”.

On commence Ă  croire que le monde existe mĂȘme sans nous. Les dieux y dorment, les tribus y complotent, les dragons s’Ă©veillent.

Nous, on ne fait que passer.

“Votre Glorantha variera”

« Votre Glorantha variera ! » — devise canonique des auteurs de RuneQuest

C’est la plus belle phrase du jeu.

Tout lire, oui — mais pour mieux trahir. Car au fond, les textes ne servent qu’à nourrir ton Glorantha : celui que tu vas inventer, altĂ©rer, improviser autour d’une table. Les joueurs n’ont pas besoin de tout savoir. Ils doivent simplement y croire.

Le reste, c’est de la brume sacrĂ©e, du bronze qui tinte, des runes qui changent de sens selon qui les trace.

Et puis, sans s’en rendre compte…

…on cherche les noms des clans Colymar, on compare les cartes de Sanfilippo et de Simon Bray, on relit Roi de Sartar puis la version en anglais King of Sartar annotĂ©e en se demandant si Argrath est un prophĂšte ou un monstre.

À ce moment-là, on n’est plus seulement joueur.

On est pĂšlerin.

On marche dans le mythe, une main sur le dĂ©, l’autre sur le texte.



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