On aime imaginer Hollywood comme une machine à rêves, libre de tout, où les réalisateurs jouent avec les tabous et repoussent les limites. Mais pendant plus de trente ans, ce n’était pas un rêve : c’était un couloir étroit. Et à l’entrée, un vigile invisible : le Code Hays.

Un règlement moral qui disait noir sur blanc ce qu’on avait le droit de montrer à l’écran… et ce qui devait disparaître, sous peine de ne jamais sortir en salle.


1920s : scandales et moralisation

À la fin des années 1920, le cinéma américain est en pleine gloire : le parlant arrive, les studios engrangent des millions, et les stars deviennent des icônes mondiales. Mais Hollywood a aussi mauvaise réputation. Très mauvaise.

Des affaires éclatent : l’affaire Fatty Arbuckle (accusé de viol et de meurtre), des overdoses, des meurtres mystérieux. La presse à scandale se régale, les ligues religieuses s’indignent. Les hommes politiques commencent à parler de censure fédérale.

Pour éviter que le gouvernement ne mette le nez dans leurs affaires, les studios se regroupent au sein de la Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA) et engagent un homme qui rassure tout le monde : Will H. Hays, ancien ministre de la Poste et presbytérien puritain. Son rôle : redonner une image “propre” au cinéma.


1930 : le Code est écrit

En 1930, un prêtre catholique, Daniel A. Lord, et un éditeur catholique, Martin Quigley, rédigent le Motion Picture Production Code. Trois grands principes le résument :

  1. Les films ne doivent pas abaisser la morale des spectateurs.
  2. Le “bien” doit toujours triompher du “mal”.
  3. La loi, les autorités et la religion chrétienne doivent être respectées.

Et derrière ces grands principes, une liste détaillée : pas de blasphème, pas de relations “perverses” (comprendre : homosexualité, fétichisme…), pas de nudité, pas de baiser trop long, pas de crime glorifié, pas de violence réaliste, pas de critique ouverte des institutions, pas de relations interraciales.


1930-1934 : le pré-code

Sur le papier, le Code existe dès 1930. Mais dans les faits, il n’est pas appliqué : les studios s’en servent surtout pour calmer la presse et les ligues religieuses. Les films sortent encore sulfureux, cyniques, érotiques.

C’est l’ère dite du pré-code, avec des titres comme Baby Face (1933), où Barbara Stanwyck couche littéralement pour gravir l’échelle sociale, ou Freaks (1932), qui montre la vie (et la vengeance) de véritables artistes de cirque atteints de malformations. Le cinéma est plus frontal, plus cru, et parfois bien plus moderne qu’on ne l’imagine.

Mais la pression ne retombe pas. Les ligues de vertu menacent de boycotter les salles, les journaux dénoncent Hollywood comme une fabrique de vice, et la Catholic Legion of Decency commence à classer les films en “acceptables” ou “condamnés”.


1934 : le verrouillage

Les studios cèdent. En 1934, la MPPDA crée le Production Code Administration (PCA) et place un homme à poigne à sa tête : Joseph Breen, catholique rigoriste. Désormais, aucun film ne sortira sans le sceau d’approbation de la PCA. Le système est implacable :

  • Les scripts sont soumis avant tournage.
  • La PCA renvoie une liste de corrections à apporter.
  • Les tournages sont surveillés.
  • Le montage final est validé ou refusé.

Sans le sceau, pas de diffusion dans les salles affiliées… c’est-à-dire pratiquement toutes.


Les règles en action

Certaines interdictions paraissent presque absurdes aujourd’hui :

  • Pas de baiser qui dure plus de trois secondes (sinon on coupe en champ/contrechamp).
  • Pas de lit conjugal partagé, même pour un couple marié : il faut deux lits séparés.
  • Pas de sang qui “dégouline”, pas de coups montrés à l’impact.
  • Pas de drogue visible à l’écran, sauf pour montrer la déchéance.
  • Les criminels doivent être punis avant le générique final.
  • Pas d’homosexualité, même implicite, sauf codée de manière à passer inaperçue.
Exemple typique du Code Hays : un couple marié montré dans des lits séparés pour respecter la “moralité” à l’écran.

L’impact immédiat

En quelques années, le cinéma américain devient plus “propre” : pas forcément moins intelligent, mais plus contraint.

Les réalisateurs inventent de nouvelles manières de suggérer : hors champ, métaphores visuelles, dialogues à double sens. Et comme Hollywood domine le marché mondial, cette vision filtrée du monde se diffuse partout, y compris en France.

On finit par prendre pour “naturelle” une grammaire visuelle née d’une censure morale.


Et après ?

Le Code Hays a tenu jusqu’à la fin des années 1960. Mais avant de parler de sa chute et de ses héritages, il faut revenir sur les années qui ont précédé sa mise en place stricte : l’ère du pré-code.

Un cinéma libre, cynique, parfois choquant, où les tabous étaient faits pour être brisés… jusqu’à ce que la morale officielle vienne tout refermer.


Piste rôliste — Inspirer le jeu

Imaginez vos PJ comme scénaristes, réalisateurs ou acteurs dans un univers où un Code Hays fictif dicte ce qu’on a le droit de montrer, dire ou même suggérer.

Quelques idées de jeu :

  • Les joueurs doivent contourner la censure en glissant des messages secrets ou politiques dans leurs films.
  • Un inspecteur de la “Commission morale” assiste au tournage et menace de tout interdire.
  • Une projection clandestine devient l’enjeu d’un scénario — entre art, propagande et risque d’arrestation.
  • Ou encore, transposez ce système dans un autre univers (futuriste, religieux, corporatiste) où la création libre est devenue un acte de résistance.

Dans ce cadre, le “film” que les PJ essaient de réaliser devient leur quête commune — et chaque coup de projecteur une épreuve contre le conformisme.


Le dernier baiser avant la censure.

Avant que le Code ne vienne chronométrer chaque étreinte, le cinéma osait encore filmer le désir frontalement, sans métaphore ni rideau tiré.
Ce cliché incarne ce moment suspendu où Hollywood était encore libre… juste avant que la morale ne referme les bras du rêve.



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