En 1969, Luchino Visconti frappe fort avec Les Damnés, un film qui conjugue faste décadent, ascension du nazisme et dynamiques familiales aussi tordues que toxiques. Premier volet de sa trilogie allemande, il annonce d’emblée un programme glaçant : l’observation chirurgicale d’une société en décomposition. À travers une fresque aussi flamboyante que sinistre, il dissèque les rouages de la compromission et du pouvoir, mettant en scène des figures inoubliables de la décadence européenne.

Une fresque noire sur fond de montée du nazisme

L’intrigue suit la famille Essenbeck, une puissante dynastie industrielle liée à l’acier, qui traverse la tourmente de l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Entre ambitions, trahisons et manipulations incestueuses, les membres du clan se livrent à une lutte sans merci pour le contrôle de leur empire. Visconti peint un tableau d’une modernité saisissante : la collusion du grand capital avec le fascisme, la compromission progressive et inéluctable d’une élite qui préfère pactiser avec le diable plutôt que de perdre ses privilèges.

La mise en scène, d’une maîtrise absolue, joue sur les contrastes entre faste et déchéance. Les dorures oppressantes des palais familiaux ne cachent qu’à peine la pourriture rampante de ce monde qui s’effondre. Helmut Berger, dans le rôle de Martin, héritier monstrueux et corrompu, incarne à lui seul toute l’horreur d’un univers au bord du gouffre. Son interprétation glaçante, mêlant perversité et fragilité, reste une des plus marquantes du cinéma de Visconti.
Visconti et la décadence : quand l’histoire devient tragédie

Visconti, marxiste convaincu et aristocrate paradoxal, livre ici une vision sans concession de la bourgeoisie et de son rapport au pouvoir. Loin de se contenter d’un simple pamphlet antifasciste, Les Damnés sonde la psyché des puissants et met en scène un cycle infernal : corruption, domination, destruction. Ce qui frappe, c’est à quel point tout semble inéluctable. Chaque personnage, même en tentant de se soustraire au mécanisme, finit par en être broyé, dépassé par des forces historiques qui les dépassent.

Le film s’inscrit dans une trilogie qui explore le rapport de l’Allemagne à son passé et à sa propre chute, aux côtés de Ludwig (1973) et Mort à Venise (1971). Ces œuvres, que nous aborderons plus tard, prolongent cette obsession de la déchéance des élites, en s’intéressant aux figures du romantisme, du déclin aristocratique et de l’évasion impossible face à un monde en mutation.

Inspirations pour du JdR : manigances et crépuscule des puissants
L’univers de Les Damnés est une mine d’or pour les scénarios de jeux de rôle. Bien que le film s’inscrive dans un contexte historique bien précis (la montée du nazisme dans les années 30), il ne se limite pas à la simulation d’un JDR historique de cette époque. Ses thématiques de trahison, de compromission et de lutte pour le pouvoir peuvent être transposées à d’autres univers, qu’ils soient médiévaux, futuristes ou totalement fictifs.
Une dynastie en déclin
Imaginez une famille influente – noblesse, marchands, industriels – qui lutte pour sa survie dans un monde en mutation. Les intrigues internes, les trahisons et les alliances précaires offrent un terreau fertile pour du jeu narratif.
- Un scénario inspiré de Vampire: La Mascarade où une ancienne lignée de la Camarilla se fissure face à l’essor d’un nouveau pouvoir sanguinaire.
- Une campagne dans l’univers de Dark Heresy où une maison noble impériale tente de maintenir son influence malgré les rivalités intestines et l’inquisition qui rôde.
La compromission et la chute morale
Que se passe-t-il lorsque des personnages doivent choisir entre leurs valeurs et leur survie ? Comment résister à l’attrait du pouvoir ou à la peur de tout perdre ?
- Un scénario L’Appel de Cthulhu dans une Europe des années 30, où les PJ doivent infiltrer une organisation industrielle ayant pactisé avec une entité impie.
- Une adaptation dans Blades in the Dark : une famille de la pègre voit ses héritiers sombrer dans la folie et la violence pour préserver leur empire criminel.
L’esthétique décadente et baroque
L’atmosphère du film, entre faste et noirceur, peut enrichir des jeux mettant en scène des élites en déclin.
- Eclipse Phase : une faction transhumaine aristocratique, détachée de la morale humaine, orchestre des jeux cruels pour maintenir son emprise.
- Les Lames du Cardinal : une cour corrompue où intrigues et duels masquent une lutte plus profonde contre des forces occultes.
La montée du totalitarisme
Un élément clé du film est l’aveuglement volontaire face à l’ascension du mal. Comment réagissent des personnages pris dans une telle dynamique ?
- L’Appel de Cthulhu : une ville tombant progressivement sous l’influence d’un culte totalitaire, où les PJ doivent choisir entre collaboration ou rébellion.
- Fate : un univers de fantasy où un empire magique sombre peu à peu dans l’autoritarisme, avec les personnages en témoins impuissants… ou résistants.
Avec Les Damnés, Visconti dresse un portrait terrifiant d’une époque où tout bascule, où l’ambition et la peur consument les âmes. En jeu de rôle, ce type d’univers offre des dilemmes moraux intenses et des intrigues aussi captivantes que désespérées. Il ne s’agit pas simplement d’un exercice de reconstitution historique, mais bien d’un canevas à transposer à d’autres univers où la décadence et la corruption gangrènent les âmes.
Et ce n’est que le début : bientôt, nous parlerons plus en détail Ludwig et de Mort à Venise, les deux autres perles noires d’une trilogie à la beauté vénéneuse.
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