Ah, le giallo… Ce cinéma où les assassins portent des gants en cuir noir, où les héroïnes courent en nuisette dans des couloirs aux éclairages psychédéliques, et où chaque meurtre ressemble à une peinture baroque en plein trip. Un mélange foutraque entre polar, thriller paranoïaque et proto-slasher, avec une obsession pour les traumatismes enfouis et les motifs incompréhensibles. Bref, du mystère, du sang et de la classe.
Et surtout, un cinéma qui transpire la sueur, le vice et la naphtaline. On est loin des thrillers aseptisés d’aujourd’hui, calibrés au millimètre pour Netflix et ses abonnés insomniaques. Là, on est dans le viscéral, le bruit de la lame qui glisse, les cris étouffés et les regards caméra qui te fixent comme si t’étais le prochain sur la liste. Le giallo, c’est un cauchemar stylisé où la logique prend un aller simple sans retour et où le moindre plan de coupe peut te filer une crise d’angoisse ou une érection esthétique. Ou les deux.
Naissance d’un Genre : Du Jaune à l’Écran

Le mot « giallo » veut dire « jaune » en italien, en clin d’œil aux couvertures criardes des romans policiers populaires publiés dans les années 30. Des petites perles de crime imprimées à la chaîne, dévorées dans les trains ou sur les plages. Quand le cinéma italien commence à avoir des sueurs nocturnes et des envies de sang, il recycle ce jaune-là dans un cocktail visuel qui fera école.

Tout commence avec Mario Bava, ce vieux briscard qui t’envoie direct dans un univers parallèle avec Six Femmes pour l’Assassin (1964). Des mannequins se font dégommer un à un dans une maison de haute couture, et tu ne sais jamais si t’es dans une enquête ou un rêve fiévreux en plein trip. L’élégance du tueur est inversement proportionnelle à la clarté du scénario.

Puis débarque Dario Argento, le maestro du crime arty. Avec L’Oiseau au Plumage de Cristal (1970), il transforme une enquête policière en labyrinthe mental. Chaque plan est pensé comme une toile. Le tueur n’est plus juste un criminel, c’est une présence, une idée fixe. Et la BO ? Une spirale sonore qui te colle au cerveau comme un chewing-gum fondu sur un trottoir romain en juillet. C’est Hitchcock en plein trip, avec un prisme kaléidoscopique et un fétichisme des couteaux.
Et là, les portes sont grandes ouvertes. Sergio Martino injecte du sexe, Lucio Fulci fout des vers dans les plaies ouvertes, Umberto Lenzi ne recule devant rien. Chacun y va de sa sauce, du grand guignol au malaise psychologique. Le giallo devient un bac à sable pour tordus de la caméra, un genre bâtard et fier de l’être, qui n’a pas peur du ridicule tant qu’il le maquille en sublime.
Et puis n’oublions pas : c’est aussi un genre profondément européen, avec ses obsessions sexuelles bourgeoises, ses décors d’opéra délabrés et ses dialogues qui sonnent parfois comme du théâtre en plein trip. Ça surjoue, ça hurle, ça meurt dans la démesure. Et c’est ça qu’on aime.
Films clés : Le giallo en 6 classiques (et quelques déviances)
Histoire de ne pas te faire perdre ton temps avec des bisseries sans saveur, voilà une sélection garantie 100% meurtre artistique, testée et approuvée par des cinéphiles insomniaques :
Six Femmes pour l’Assassin (1964) – Mario Bava

Première pierre. Tueur masqué, mannequins sacrifiés, éclairages rouges sang et verts malade.
Dans une maison de haute couture dirigée par la Comtesse Cristina, une série de meurtres de mannequins sème la terreur. L’enquête révèle un réseau complexe de chantage, de jalousie et de secrets inavouables. Bava offre ici un thriller visuellement stylisé, précurseur du genre giallo.
L’Oiseau au Plumage de Cristal (1970) – Dario Argento

Sam Dalmas, écrivain américain en panne d’inspiration, assiste à une agression dans une galerie d’art à Rome. Bien qu’il sauve la victime, il sent qu’un détail crucial lui échappe. Bloqué en Italie par la police, il mène sa propre enquête, découvrant une série de meurtres liés à un tableau énigmatique. Le film mêle suspense et esthétique soignée, caractéristique du giallo.
La Baie Sanglante (1971) – Mario Bava

Le proto-slasher ultime.
Après le meurtre d’une riche héritière, une série de meurtres sanglants éclate autour d’une baie isolée, chacun cherchant à s’approprier l’héritage. Ce film est considéré comme un précurseur du slasher, avec des scènes de violence graphique marquantes.
La Tarentule au Ventre Noir (1971) – Paolo Cavara

Le commissaire Tellini enquête sur une série de meurtres où les victimes sont paralysées avant d’être tuées. L’enquête le mène dans les milieux de la haute société romaine, révélant des secrets sordides. Un giallo classique avec une ambiance moite et une musique envoûtante d’Ennio Morricone.
Torso (1973) – Sergio Martino

Un tueur en série s’attaque à des étudiantes d’un collège international à Pérouse. Quatre jeunes femmes se réfugient dans une villa isolée, mais le tueur les traque sans relâche. Considéré comme l’un des premiers slashers, le film mêle érotisme et violence graphique.
Les Frissons de l’Angoisse (1975) – Dario Argento

Un pianiste assiste au meurtre brutal d’une médium et se retrouve plongé dans une enquête complexe mêlant meurtres, secrets d’enfance et phénomènes paranormaux. Argento y déploie une mise en scène inventive et une atmosphère oppressante.
En bonus : L’Éventreur de New York, L’Emmurée vivante, La Queue du Scorpion, L’Iguane à Langue de Feu… parce qu’on ne boude pas son plaisir quand il est bien juteux, légèrement déviant, et accompagné de cris stridents et de synthés dissonants.




Le Giallo en JdR : Du rouge et du doute
Envie de foutre une ambiance giallesque dans tes parties de JDR ? Facile : mets des néons, des silences pesants, des rêves chelous, et une BO italienne des années 70. Un meurtre étrange, des indices incohérents, et des joueurs qui doutent de tout, surtout d’eux-mêmes. Bonus si la table est éclairée à la lampe de sel et que le MJ porte des gants en cuir.
L’Appel de Cthulhu version 70’s
Imagine : Rome, 1972. Des universitaires un peu trop curieux tombent sur un rituel interdit. Le lendemain, leur collègue est retrouvé vidé de son sang dans une fontaine. Et personne n’a vu les gants noirs qui traînaient dans la chambre. Tout est dans l’ambiance : téléphone qui sonne sans réponse, miroir qui reflète un visage inconnu, et une odeur de jasmin qui précède chaque drame.
Monster of the Week sauce Argento
Un monstre invisible ? Un démon antique ? Une vengeance venue d’outre-tombe ? La frontière entre le surnaturel et le trauma se brouille. Et si le vrai monstre, c’était un souvenir refoulé ? (Oui, c’est tordu, et alors ?) Chaque scénario peut devenir une plongée dans le subconscient, entre rêve lucide et flashback toxique.
Fiasco – Spécial Giallo
Personnages : un critique d’art véreux, une actrice porno reconvertie, un antiquaire endetté, un flic sur le retour. Objectifs : survivre, manipuler, se venger, et découvrir qui se cache derrière le masque. Spoiler : tout le monde a des choses à cacher. L’ambiance est moite, le décor flirte avec le mauvais goût, et chaque scène peut basculer dans le meurtre grandiloquent.
Pourquoi le Giallo, c’est toujours aussi cool ?
Parce que c’est un cinéma qui te parle direct aux tripes. Qui ose le mauvais goût, qui frôle le grotesque, mais qui te colle à la rétine. Parce que c’est une école de l’excès, de la couleur et du crime baroque. Une lettre d’amour au bizarre, au kitsch sublimé, au meurtre comme art total.
Et parce qu’on en a marre des tueurs en série psychologiquement complexes avec leur enfance difficile. Donne-nous plutôt un inconnu masqué, une lame de rasoir, une bande-son saturée de flûte et de synthé, et une victime qui tombe au ralenti dans un aquarium rempli de mannequins décapités.
Le giallo, c’est du cinéma qui rêve en couleurs criardes, qui t’attrape par la nuque et te traîne dans des galeries d’art hantées, des appartements trop propres pour être honnêtes, des rêves qui suintent la culpabilité. Et si tu survis à la projection, c’est que t’es fait pour ça.
Que ce soit pour une soirée ciné en plein trip ou une partie de JDR au goût de sang, le giallo reste une explosion de style, de violence et de mystère. Une porte d’entrée vers une Italie imaginaire, moite, sensuelle et détraquée. Et franchement ? On en redemande.
Fin de la bobine. Le rideau peut tomber. Ou pas.

Laisser un commentaire