Les genres dans Glorantha : entre mythes et histoire

L’univers de RuneQuest: Glorantha, conçu par Greg Stafford, est profondément influencé par les cultures et mythologies antiques. Parmi ses aspects les plus fascinants, la diversité des genres dans la société Heortling dépasse largement la binarité habituelle et reflète des conceptions du genre que l’on retrouve dans diverses civilisations historiques. Cet article explore la manière dont…

The Six Paths

L’univers de RuneQuest: Glorantha, conçu par Greg Stafford, est profondément influencé par les cultures et mythologies antiques. Parmi ses aspects les plus fascinants, la diversité des genres dans la société Heortling dépasse largement la binarité habituelle et reflète des conceptions du genre que l’on retrouve dans diverses civilisations historiques. Cet article explore la manière dont Glorantha intègre cette diversité à travers ses mythes et structures sociales, en écho aux réalités du monde antique.


Sexe et genre : distinctions linguistiques et rôlistiques

Avant d’examiner la place des genres dans Glorantha, il est essentiel de clarifier quelques notions.

LangueSexeGenre
En françaisDésigne les caractéristiques biologiques (chromosomes, organes reproducteurs, hormones).Désigne les rôles, identités et comportements associés au masculin, au féminin ou au non-binaire dans une société donnée.
En anglaisSex : équivalent au sexe biologique.Gender : souvent utilisé de manière plus large, pouvant inclure des aspects biologiques et sociaux.

Dans le contexte de RuneQuest, cette distinction est réinterprétée dans un cadre mythologique où la transformation physique et spirituelle est possible. Dans The Six Paths, le sexe (sex) est associé aux caractéristiques biologiques tandis que le genre (gender) est lié aux croyances et aux cultes divins.

Les genres dans Glorantha : entre mythes et histoire

Les genres Heortlings : une diversité enracinée dans le mythe

La culture Heortling1 ne se limite pas à une binarité stricte et reconnaît quatre sexes biologiques et six genres sociaux, chacun associé à une divinité et jouant un rôle spécifique dans la société.

Les genres dans Glorantha : entre mythes et histoire

Page 80 du LdR (Runequest : Aventures dans Glorantha)

Les Gloranthiens nourrissent toute une gamme de conceptions vis-à-vis de l’identité de genre. Les Orlanthi reconnaissent quatre sexes (mâle biologique, femelle biologique, ni l’un ni l’autre ou les deux) et six genres (rôle masculin, rôle féminin, femme dans un rôle masculin, homme dans un rôle féminin, deux rôles, ni l’un ni l’autre des rôles). Ils reconnaissent au moins sept types de mariage. Il existe plusieurs traditions polyandres et la polygamie n’est pas inconnue. De nombreux héros orlanthi mariés à des prêtresses d’Ernalda ont également eu des amants mâles (souvent de même sexe et même genre). Le seul tabou sexuel important concerne ceux qui n’ont pas encore été initiés en tant qu’adultes. Cependant, certains cultes sont restreints à un certain sexe et/ou genre.

Le supplément The Six Paths (en anglais uniquement) vient préciser un peu plus la vision du sexe et des genres dans la culture Heortling dans Glorantha.

Les quatre sexes biologiques :

  • Female-fertile : personnes capables de porter des enfants.
  • Male-fertile : personnes capables de féconder.
  • Neuter-fertile : personnes sans capacité de reproduction.
  • Both-fertile : personnes pouvant être à la fois fécondantes et enceintes.

Les six genres sociaux :

GenreDivinité associéeRôle dans la société
Orlanthi (homme)OrlanthGuerriers, fermiers, figures d’autorité liées aux tempêtes et à la bravoure.
Ernaldan (femme)ErnaldaGuérisseuses et diplomates, piliers du foyer et de la communauté.
Vingan (femme dans un rôle masculin)Vinga (aspect d’Orlanth)Guerrières, protectrices indépendantes assumant des responsabilités militaires.
Nandani (homme dans un rôle féminin)NandanSoigneurs et gardiens du foyer, incarnant la sagesse domestique et la transmission des traditions.
Helering (genre fluide)HelerArtistes, mystiques et voyageurs, symbolisant le changement et l’adaptabilité.
None (sans genre défini)Aucun culte fixeMystiques et chamanes souvent en quête spirituelle.

Contrairement à de nombreuses sociétés de fantasy où le genre est binaire, Glorantha inscrit cette diversité dans une logique mythologique. Les identités de genre sont sacrées et soutenues par les cultes divins, ce qui leur confère une légitimité indiscutable.


Inspirations historiques : le genre au-delà de la binarité

La diversité des genres en Glorantha ne sort pas de nulle part. De nombreuses civilisations antiques avaient des conceptions du genre bien plus fluides que celles imposées par la pensée occidentale moderne.

Égypte et Mésopotamie : Le sacré et l’androgynie

Hâpy2, dieu du Nil, est représenté avec des attributs masculins et féminins, incarnant la fertilité et l’abondance.

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Inanna/Ishtar, déesse sumérienne, pouvait « transformer les hommes en femmes et les femmes en hommes3« .

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Les assinnu et kurgarru4, prêtres d’Inanna, adoptaient des rôles de genre ambigus dans le cadre de leurs cultes.

Grèce et Rome : divinités changeantes et prêtres transgressifs

Hermaphrodite, enfant d’Hermès et d’Aphrodite, symbolise l’ambiguïté du genre.

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Hermaphrodite endormi. Copie romaine / original grec du IIe siècle av. J.-C. En 1619 restauration: D. Larique, oreiller et matelas: Bernin. Louvre

5Dionysos, dieu du vin et de la transe mystique, défiait les attentes de masculinité par ses traits et son comportement. Dionysos rappelle les Helering de la culture Heortling dans Glorantha, qui incarnent une fluidité de genre et un rôle social lié au changement et à la transformation. Comme Dionysos, ils naviguent entre les identités masculines et féminines et occupent une place essentielle dans la spiritualité et la dynamique sociale.

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Les Galles6, prêtres de Cybèle, pratiquaient l’auto-castration et formaient un troisième genre sacré.

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Inde et Asie : Hijras et esprits androgynes

Les Hijras en Inde forment une communauté de genre non-binaire reconnue depuis des siècles, avec un rôle rituel dans la société.

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Shikhandi, personnage du Mahabharata, est né femme avant de devenir un guerrier masculin.

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Les mystiques taoïstes chinois recherchaient un équilibre entre le Yin et le Yang, souvent représenté sous des formes androgynes7.

L’Afrique et les Amériques : fluidité culturelle et spirituelle

Chez les Igbo du Nigeria8, certaines femmes pouvaient adopter des rôles masculins, notamment dans le cadre de mariages entre femmes pour préserver l’héritage familial.

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Les Two-Spirit (terme moderne)9 des nations amérindiennes occupaient un statut spirituel et social distinct, souvent en tant que guérisseurs ou conteurs.

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Glorantha, un miroir des mythes anciens

Contrairement aux univers médiévaux-fantastiques traditionnels, Glorantha reflète cette diversité historique et mythologique. Son approche du genre est ancrée dans un cadre sacré, où les identités et rôles sociaux sont légitimés par la religion et la magie. Cela offre aux joueurs une opportunité unique d’incarner des personnages aux identités variées, sans que ces aspects soient perçus comme marginaux ou anachroniques.

En jeu, cette diversité peut enrichir les interactions :

  • Un personnage Vingan peut être un modèle de bravoure et d’indépendance dans une société où le genre féminin est souvent associé à la diplomatie et à la gestion du foyer.
  • Un Nandani peut être respecté comme gardien des traditions familiales et jouer un rôle essentiel dans la cohésion du groupe.
  • Les Helering peuvent être des figures de transition et d’adaptation, utilisant leur fluidité pour naviguer entre les différents milieux sociaux et spirituels.

Conclusion : jouer avec le genre, jouer avec le mythe

La diversité des genres dans Glorantha n’est pas une simple originalité ludique : elle s’inscrit dans une tradition mythologique et historique bien réelle. En intégrant cette richesse dans leurs parties de RuneQuest, les joueurs peuvent explorer des dynamiques sociales complexes, des cultes fascinants et des personnages ancrés dans une conception du monde où le genre est aussi fluide que les vents d’Orlanth.

Glorantha nous rappelle que la diversité des genres n’est pas une invention moderne, mais une réalité ancienne, profondément liée aux récits et sociétés humaines. RuneQuest offre ainsi une profondeur rarement atteinte dans le jeu de rôle, en proposant un cadre où ces identités trouvent toute leur légitimité.

Les genres dans Glorantha : entre mythes et histoire

  1. La culture Heortling est celle des habitants des terres de Sartar, du Pays d’Heort et du Pays hendriki dans Glorantha, principalement composée de clans tribaux suivant les enseignements du dieu Orlanth. Ce sont des guerriers-agriculteurs, vivant dans des sociétés organisées autour de clans et de tribus, où l’honneur, la loyauté et la liberté sont des valeurs fondamentales. Leurs croyances religieuses sont profondément ancrées dans le culte des dieux du panthéon orlanthi, notamment Orlanth, dieu du vent et du changement, et Ernalda, déesse de la terre et de la fertilité.
    Leur mode de vie repose sur un équilibre entre tradition et adaptabilité, où chaque individu a une place définie selon son genre, son rôle et son affiliation à un culte divin. ↩︎
  2. A ne pas confondre avec Hâpi qui est une divinité protectrice des poumons des morts. Elle est représentée avec une tête de babouin. Elle est l’un des quatre génies funéraires anthropomorphes appelés les enfants d’Horus. Ils avaient pour mission de garder les viscères du corps du défunt. ↩︎
  3. Plusieurs textes confèrent à Ishtar la faculté d’inversion de la destinées des personnes, illustrée à plusieurs reprises par sa capacité à transformer les hommes en femmes et vice-versa, [voir le passage d’un hymne en sumérien du roi Ishme-Dagan d’Isin (Ishme-Dagan K)] : ↩︎
  4. Les assinnu et kurgarru étaient des figures religieuses du culte de la déesse Inanna/Ishtar en Mésopotamie, particulièrement en Sumer et en Assyrie. Ils faisaient partie des prêtres et prêtresses exerçant des rôles rituels souvent liés à la sexualité sacrée, à la transe et à la musique. Parfois décrits comme ayant des comportements et des apparences qui transcendaient les catégories traditionnelles de genre.
    Certains textes évoquent des individus qui auraient pu être castrés, androgynes ou simplement défiant les rôles genrés conventionnels par leur habillement et leur comportement. ↩︎
  5. Tout comme Shiva, Dionysos est un dieu paradoxal, contradictoire, aux multiples visages. Ces paradoxes s’expliquent par la mythologie du feu. Dionysos autopátōr « père de lui-même » est l’exacte contrepartie du dieu védique du Feu : Agni « rejeton de lui-même ». Dionysos Dimorphos « dieu qui renaît éternellement de lui-même », « père et fils des dieux » reflète une concordance formulaire du Feu divin. Il est décrit tour à tour comme viril et efféminé, mâle et femelle, jeune et vieux — « le plus ancien et le plus jeune de tous les dieux » —, violent, voire guerrier et pacifique, joyeux et sinistre, véridique et trompeur. Un certain nombre de ces contrastes se justifient par le contraste entre le feu et le foyer. ↩︎
  6. Les Galles (ou Galli en latin) étaient des prêtres de Cybèle, une déesse d’origine anatolienne (Phrygie) intégrée dans le panthéon romain sous le nom de Magna Mater (la Grande Mère). Ils étaient connus pour leur auto-castration rituelle, leur apparence androgyne et leur rôle central dans les cultes extatiques de la déesse. ↩︎
  7. Dans la philosophie taoïste chinoise, le Yin (féminin, réceptif, obscur) et le Yang (masculin, actif, lumineux) sont des principes complémentaires qui existent en tout être et en toute chose. L’objectif du taoïsme est d’atteindre un équilibre harmonieux entre ces forces opposées mais interdépendantes. ↩︎
  8. Chez les Igbo (ainsi que chez d’autres groupes ethniques africains comme les Nuer du Soudan ou les Kikuyu du Kenya), il existe une institution sociale permettant à une femme d’endosser un rôle masculin pour des raisons économiques et familiales. Cela ne signifie pas nécessairement une relation amoureuse ou sexuelle entre les femmes, mais plutôt une structure légale et sociale pour assurer la transmission du patrimoine. ↩︎
  9. Le terme Two-Spirit (Niizh manidoowag en ojibwé) est un concept moderne créé en 1990 lors d’un rassemblement autochtone à Winnipeg, au Canada, pour remplacer les termes coloniaux souvent péjoratifs employés par les Européens. Cependant, la reconnaissance de genres multiples dans les sociétés amérindiennes remonte à des siècles et faisait partie intégrante de nombreuses cultures autochtones en Amérique du Nord. ↩︎



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Commentaires

2 réponses à “Les genres dans Glorantha : entre mythes et histoire”

  1. Avatar de Escrocgriffe

    Article absolument passionnant : Runequest a été une grand frustration à l’adolescence, car le monde était trop riche pour mes capacités de MJ… et là je découvre un volet absolument passionnant, sans parler de toutes ces vraies cultures et cultes de notre monde dont j’ignorais l’existence ! Bien que n’étant absolument pas spécialiste de ce sujet, je trouve ton article fascinant car il touche à l’ésotérisme et l’initiatique… Je prendrai le temps de le relire plus attentivement, un grand merci !

    1. Avatar de Iso

      Heureux que l’article plaise. On a également découvert plein de choses par hasard. C’est le Six Paths qui nous a permis de clarifier un peu nos connaissances et nous a ouvert à la curiosité sur d’autres cultures anciennes ou récentes. Peut-être que Greg Stafford s’en est inspiré ou pas, il avait une grande culture historique et philosophique.
      C’est en reprenant nos bouquins pour faire l’article qu’on s’est enfin rendu compte du pourquoi Kaljyr Front-etoilé est appelée Prince de Sartar et pas  »princesse de Sartar ».

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