Louise Eugénie Alexandrine Marie David, plus connue sous le nom d’Alexandra David-Néel, née le 24 octobre 1868 à Saint-Mandé, morte à près de 101 ans le 8 septembre 1969 à Digne-les-Bains, est une orientaliste, tibétologue, chanteuse d’opéra et féministe, journaliste et anarchiste, écrivaine et exploratrice, franc-maçonne et bouddhiste française.
Elle fut, en 1924, la première femme occidentale à atteindre Lhassa, capitale du Tibet, exploit dont les journaux se firent l’écho un an plus tard et qui contribua fortement à sa renommée, en plus de ses qualités personnelles et de son érudition.
Biographie d’Alexandra David-Néel
1868-1895 : une jeunesse en Belgique
Alexandra est la fille unique de Louis David, franc-maçon issu d’une famille huguenote, instituteur, et d’Alexandrine Borgmans, une belge catholique ayant des origines scandinaves et sibériennes. Louis et Alexandrine se sont rencontrés en Belgique, où le maître d’école, éditeur d’une revue républicaine, avait dû s’exiler lorsque Louis-Napoléon Bonaparte est devenu empereur. Bénéficiant de l’amnistie de Napoléon III, Louis David rentre à Paris avec Alexandrine en 1859.
Entre l’époux désargenté et l’épouse qui n’héritera de son père que bien plus tard, la naissance d’Alexandra en 1868 ne fait qu’augmenter les motifs de tension. Ainsi, alors que sa mère veut qu’elle reçoive une éducation catholique, son père la fait secrètement baptiser dans la foi protestante.
En 1871, révolté par l’exécution des derniers communards devant le mur des fédérés au cimetière du Père-Lachaise à Paris, Louis David y emmène sa fille alors âgée de deux ans, Eugénie, future Alexandra, pour qu’elle voie et n’oublie jamais la férocité des hommes.
Les David s’expatrient à nouveau en Belgique en 1873,. En dehors des cours de piano et de chant, la fillette de six ans s’absorbe dans la lecture des récits de voyage de Jules Verne et rêve de pays lointains en feuilletant l’atlas que son père lui a offert. Pour que la jeune fille reçoive une éducation rigoureuse, elle est envoyée par son père dans un pensionnat calviniste. Vers sa dixième année, elle est victime d’une crise d’anémie, ce qui amène ses parents à l’inscrire dans un pensionnat catholique, au couvent du Bois fleuri.
Avant même l’âge de 15 ans, Alexandra s’inflige un nombre d’austérités extravagantes : jeûnes, tortures corporelles, recettes puisées dans des biographies de saints ascètes trouvées dans la bibliothèque de l’une de ses parentes, qu’elle relate dans Sous des nuées d’orage paru en 1940.
À 15 ans, en vacances avec ses parents à Ostende, elle fugue et gagne le port de Flessingue en Hollande pour essayer d’embarquer vers l’Angleterre. Le manque d’argent l’oblige à renoncer.
Durant toute son enfance et son adolescence, elle côtoie Élisée Reclus, qui l’amène à s’intéresser aux idées anarchistes de l’époque (Max Stirner, Mikhaïl Bakounine, etc.) et aux féministes qui lui inspireront la publication de Pour la vie en 1898.
Elle devient d’ailleurs une libre collaboratrice de La Fronde, journal féministe créé par Marguerite Durand et géré comme une coopérative par des femmes ; elle participe également à diverses réunions du Conseil national des femmes françaises ou italiennes. Mais elle rejette en revanche certaines des positions prônées lors de ces réunions (par exemple le droit de vote pour les femmes), préférant la lutte pour l’émancipation économique. Alexandra s’éloignera d’ailleurs de ces « oiseaux aimables, au précieux plumage », ces féministes venant pour la plupart de la haute société et oubliant selon elle les dures conditions de vie auxquelles la plupart des femmes sont astreintes.
Parallèlement, à partir de 1893, Alexandra fréquente la franc-maçonnerie et atteindra le 30e degré dans le rite écossais ancien et accepté. Elle participe à la fondation de la première obédience mixte du monde, constituée à l’initiative de Maria Deraismes et de Georges Martin : la Grande Loge symbolique écossaise – Droit humain.
En 1889, à sa majorité (21 ans), elle se convertit au bouddhisme, notant cet événement dans son journal intime (paru en 1986 sous le titre de La Lampe de sagesse). La même année, pour se perfectionner en anglais, langue dont la maîtrise est indispensable à une carrière d’orientaliste, elle part à Londres, où elle fréquente la bibliothèque du British Museum et fait la connaissance de divers membres de la Société théosophique, dont elle devient membre, son diplôme étant daté du 7 juin 1892.
L’année suivante, elle va à Paris pour s’initier au sanskrit et au tibétain et suit les cours d’Édouard Foucaux, d’Hervey de Saint-Denis et de son successeur Édouard Chavannes, ainsi que ceux de Sylvain Lévi au Collège de France. Elle suit aussi des cours à l’École pratique des hautes études sans toutefois y passer d’examen.
1895-1902 : la cantatrice
À l’incitation de son père, Alexandra David-Néel entre au Conservatoire royal de Bruxelles, où elle étudie le piano et le chant. Elle reçoit un premier prix de chant. Pour aider ses parents qui connaissent des revers de fortune, elle occupe, sous le nom d’Alexandra Myrial, inspiré du nom de Myriel un personnage des Misérables de Victor Hugo, l’emploi de première chanteuse à l’opéra d’Hanoï (Indochine), durant les saisons 1895-1896 et 1896-1897. Elle y interprète le rôle de Violetta dans La Traviata (de Verdi), puis chante dans Les Noces de Jeannette (de Victor Massé), Faust et Mireille (de Gounod), Lakmé (de Léo Delibes), Carmen (de Bizet), Thaïs (de Massenet). Elle entretient à cette époque des rapports épistolaires avec Frédéric Mistral et Jules Massenet.
De 1897 à 1900, elle partage à Paris la vie du pianiste Jean Hautstont avec qui elle écrit Lidia, drame lyrique en un acte dont Haustont compose la musique et Alexandra le livret. Elle part chanter à l’opéra d’Athènes, de novembre 1899 à janvier 1900 puis, en juillet de la même année, à l’opéra de Tunis, ville où elle rencontre peu après son arrivée un cousin éloigné, Philippe Néel, ingénieur en chef des Chemins de fer tunisiens et son futur époux. Elle abandonne sa carrière de chanteuse à l’été 1902, à l’occasion d’un séjour de Jean Hautstont à Tunis et assure, pendant quelques mois, la direction artistique du casino de Tunis, tout en poursuivant ses travaux intellectuels.
De 1893 à 1899, Alexandra David, qui ne fait pas mystère de ses idées féministes et anarchistes, écrit, sous le pseudonyme de Mitra (un gardien de l’ordre divin dans la littérature védique), des articles pour des revues, notamment Le Lotus bleu, la revue française de la société théosophique, et l’Étoile socialiste, revue populaire hebdomadaire du socialisme international. De 1900 à 1908, elle publie plusieurs articles sous le pseudonyme d’Alexandra Myrial, dont une étude dans le Mercure de France sur Le pouvoir religieux au Tibet et ses origines. Toujours sous ce pseudonyme qu’elle utilise lors de ses tournées de cantatrice, elle écrit, en 1901 et 1902, un roman, intitulé Le Grand Art, peinture satirique des milieux artistiques de la fin du XIXème siècle qui n’emballe pas les éditeurs. En 1904, alors qu’elle va épouser Philippe Néel, elle renonce à le publier, en raison de passages « trop autobiographiques ».
1904-1911 : la femme mariée
Le 4 août 1904, à Tunis, elle épouse Philippe Néel de Saint-Sauveur, son amant depuis le 15 septembre 1900. Elle a 36 ans. Leur vie commune, parfois orageuse, mais empreinte de respect mutuel, cesse le 9 août 1911, lors de son départ, seule, pour son troisième voyage en Inde (1911-1925) (le deuxième s’étant effectué pendant un tour de chant). Trois ministères l’aident à financer ce voyage d’étude. Alexandra ne veut pas d’enfants, elle a conscience que les charges d’une maternité sont incompatibles avec son besoin d’indépendance et son goût des études. Elle promet à Philippe de regagner le domicile conjugal dans dix-huit mois : ce n’est que quatorze ans plus tard, en mai 1925, que les époux se retrouveront… et se sépareront à nouveau au bout de quelques jours, Alexandra étant revenue avec son compagnon d’exploration, le jeune lama Aphur Yongden, dont elle devait faire son fils adoptif en 1929.
Pour autant, les deux époux entamèrent, après cette séparation, une abondante correspondance qui ne cessera qu’avec la mort de Philippe Néel, le 8 février 1941. De ces échanges subsistent nombre de lettres écrites par Alexandra, et quelques lettres écrites par son mari. Beaucoup ont été brûlées ou perdues lors des tribulations d’Alexandra pendant la guerre civile chinoise, au milieu des années 1940.
À partir de 1909, Alexandra se recentre sur les études asiatiques et cherche à se faire reconnaître comme érudite. Elle signe, sous son nom de jeune fille, Alexandra David, plusieurs articles, dont « Les Bouddhistes européens » dans Le Soir de Bruxelles du 16 octobre 1909, et son premier essai, Le modernisme bouddhiste et le bouddhisme du Bouddha, paru chez Félix Alcan en 1911. Il lui faudra attendre encore une décennie pour connaître enfin le succès sous le nom d’Alexandra David-Néel.
1911-1925 : le périple indo-tibétain
Arrivée au Sikkim (1912)
Alexandra David-Néel arrive au Sikkim en 1912. Elle a 43 ans. Elle se lie d’amitié avec Sidkéong Tulku Namgyal, le fils aîné du souverain (chogyal) de ce royaume (qui deviendra un État de l’Inde), et se rend dans de nombreux monastères bouddhistes pour parfaire sa connaissance du bouddhisme.
En 1914, elle rencontre dans un de ces monastères le jeune Aphur Yongden, âgé de 15 ans, dont elle fera, en 1929, son fils adoptif. Tous deux décident de se retirer dans une caverne transformée en ermitage à plus de 4 000 mètres d’altitude, au nord du Sikkim.
Sidkéong, alors chef spirituel du Sikkim, est envoyé à la rencontre d’Alexandra David-Néel par son père, le maharaja du Sikkim, qui avait été prévenu de son arrivée en avril 1912 par le résident britannique à Gangtok.
Lors de cette première rencontre, l’entente entre eux est immédiate : Sidkéong, avide de réformes, écoute les conseils d’Alexandra David-Néel et, avant de repartir à ses occupations, lui laisse le Lama Kazi Dawa Samdup comme guide, interprète et professeur de tibétain. Par la suite, Sidkéong confie à Alexandra David-Néel que son père souhaite qu’il renonce au trône en faveur de son demi-frère.
Rencontre avec le 13ème dalaï-lama à Kalimpong (1912)
Le Lama Kazi Dawa Samdup accompagne Alexandra David-Néel à Kalimpong, où elle se rend pour rencontrer le 13ème dalaï-lama en exil. Elle est reçue en audience le 15 avril 1912, et croise dans la salle d’attente Ekai Kawaguchi, un moine bouddhiste japonais qu’elle retrouvera au Japon.
Le dalaï-lama la reçoit, accompagnée de l’indispensable interprète, et lui conseille fortement d’apprendre le tibétain, un avis qu’elle suivra. Le dalaï-lama est très intrigué par sa conversion au bouddhisme. Une Occidentale connaissant la doctrine bouddhiste lui paraissait quelque chose d’inconcevable. David-Néel provoquera son hilarité en affirmant être la seule bouddhiste de Paris, et son étonnement en lui apprenant que le Gyatcher Rolpa, un livre tibétain sacré, a été traduit par Philippe-Édouard Foucaux, un professeur au Collège de France. Elle demande nombre d’explications complémentaires que le dalaï-lama s’efforce de lui fournir, lui promettant de répondre à toutes ses questions par écrit.
Séjour à Lachen (1912-1916)
Fin mai, elle se rend à Lachen, où elle rencontre Lachen Gomchen Rinpoché, le supérieur (gomchen) du monastère de la ville, avec comme interprète improvisé Edward H. Owen, un pasteur protestant suédois qui remplace Kazi Dawa Samdup en l’absence de ce dernier. Elle vit plusieurs années à Lachen auprès d’un des plus grands gomchens dont elle a le privilège de recevoir l’enseignement. Surtout, elle est en profite pour franchir à deux reprises la frontière tibétaine, toute proche, et ce malgré l’interdiction.
Dans sa caverne d’anachorète, elle s’exerce aux méthodes des yogis tibétains. Elle fait parfois tsam, c’est-à-dire fait retraite plusieurs jours durant sans voir personne, elle apprend la technique du toumo, qui permet de mobiliser son énergie interne pour produire de la chaleur. À la suite de cet apprentissage, son maître, le gomchen de Lachen, lui donnera le nom religieux de Yéshé Tömé, « Lampe de Sagesse », qui lui vaudra par la suite d’être reconnue par les autorités bouddhistes partout où elle se rendra en Asie.
Alors qu’elle est en compagnie de Lachen Gomchen Rinpoché, Alexandra David-Néel retrouve, à Lachen, le 29 mai 1912, Sidkéong qui se trouve en tournée d’inspection. Ces trois personnalités du bouddhisme ainsi réunies réfléchissent et travaillent à la réforme et à la propagation du bouddhisme, comme le déclarera le Gomchen. Sidkéong organise pour Alexandra une expédition d’une semaine dans le Haut-Sikkim, à 5 000 mètres d’altitude, expédition qui se met en route le 1er juin.
Il existe une correspondance épistolaire entre Sidkéong et Alexandra David-Néel. Ainsi, dans une lettre de Sidkéong écrite à Gangtok le 8 octobre 1912, il la remercie de la méthode de méditation qu’elle lui a envoyée. Le 9 octobre, il l’accompagne jusqu’à Darjeeling, où ils visitent ensemble un monastère, alors qu’elle s’apprête à regagner Calcutta. Dans une autre lettre, Sidkéong informe Alexandra David-Néel qu’en mars 1913, il a pu adhérer à la franc-maçonnerie à Calcutta, où il a été reçu compagnon, muni d’une lettre d’introduction du gouverneur du Bengale, un lien supplémentaire entre eux. Il lui fait part de sa joie d’avoir pu devenir membre de cette société.
Vers la mi-novembre 1912, elle visite le Népal, et se rend en pèlerinage sur le lieu supposé de naissance du Bouddha à Lumbini, le 10 janvier 1913. Le lendemain, elle va chercher en vain les ruines du village de son enfance à Kapilavastu. Elle poursuit son pèlerinage sur les pas du Bouddha et se rend en février à Bénarès, où il donna son premier enseignement.
Alors que son père est sur le point de mourir, Sidkéong appelle Alexandra David-Néel à l’aide, et lui demande conseil pour entreprendre la réforme du bouddhisme qu’il souhaite mettre en œuvre au Sikkim quand il accédera au pouvoir. Revenant à Gangtok en passant par Darjeeling et Siliguri, Alexandra David-Néel est reçue comme un personnage officiel, avec haie d’honneur, par Sidkéong, le 3 décembre 1913. Le 4 janvier 1914, il lui offre, en cadeau pour le Nouvel An, une robe de lamani (dame lama) consacrée selon les rites « lamaïques ». Alexandra se fait photographier ainsi vêtue, un bonnet jaune complétant l’ensemble.
Le 10 février 1914, le Maharaja meurt et Sidkéong lui succède. La campagne de réforme religieuse peut débuter. Kali Koumar, un moine du bouddhisme du Sud est appelé à y participer, ainsi que Silacara, qui vit alors en Birmanie. C’est de ce même pays que vient Hteiktin Ma Lat, avec qui Alexandra David-Néel est en correspondance, et que doit épouser Sidkéong, Alexandra David-Néel devenant de fait la conseillère conjugale du Maharaja.
Alors qu’elle se trouve au monastère de Phodong, dont Sidkéong est l’abbé, Alexandra David-Néel affirme entendre une voix qui lui annonce que les réformes échoueront.
Le 11 novembre 1914, quittant la caverne du Sikkim où elle était allée retrouver le gomchen, Alexandra est accueillie au monastère de Lachen par Sidkéong. Un mois plus tard, elle apprend la mort subite de Sidkéong, nouvelle qui l’affecte et laisse penser à un empoisonnement.
Premier séjour au Tibet et rencontre avec le panchen-lama (1916)
Le 13 juillet 1916, sans demander la permission à quiconque, Alexandra David-Néel part pour le Tibet en compagnie de Yongden et d’un moine. Elle projette de visiter deux grands centres religieux proches de son ermitage du Sikkim : le monastère de Chorten Nyima et celui de Tashilhunpo, près de Shigatsé, l’une des plus grandes villes du sud du Tibet. Au monastère de Tashilhunpo, où elle arrive le 16 juillet, on la laisse consulter les écrits bouddhistes et visiter les divers temples. Le 19, elle se rend chez le panchen-lama, dont elle reçoit la bénédiction et un accueil charmant : il la présente aux notables de son entourage, à ses professeurs et à sa mère. Le panchen-lama lui propose de rester à Shigatsé comme son invitée, ce qu’elle décline, quittant la ville le 26 juillet, non sans avoir reçu les titres honoraires de lama et de docteur en bouddhisme tibétain et connu des heures de grande félicité. Elle poursuit son escapade au Tibet en visitant l’imprimerie de Narthang avant de rendre visite à un anachorète qui l’a invitée près du lac Mo-te-tong. Le 15 août, elle est reçue par un lama à Tranglung.
À son retour au Sikkim, les autorités coloniales britanniques, poussées par des missionnaires exaspérés par l’accueil réservé à Alexandra par le panchen-lama et mécontentes de ce qu’elle ait ignoré leur interdiction de pénétrer au Tibet, lui notifient un avis d’expulsion.
Voyage au Japon, en Corée, en Chine, en Mongolie, au Tibet
Comme il leur est impossible de rentrer en Europe en pleine guerre mondiale, Alexandra et Yongden quittent le Sikkim pour l’Inde puis le Japon. Elle y rencontre le philosophe Ekaï Kawaguchi qui, quelques années plus tôt, avait réussi à rester dix-huit mois à Lhassa sous un déguisement de moine chinois. Alexandra et Yongden partent ensuite pour la Corée, puis Pékin en Chine. De là, ils choisissent de traverser la Chine d’est en ouest en compagnie d’un lama tibétain haut en couleur. Leur périple dure plusieurs années à travers le Gobi, la Mongolie, avant une pause de trois ans (1918-1921) au monastère de Kumbum au Tibet, où Alexandra, aidée de Yongden, traduit la célèbre Prajnaparamita.
Séjour incognito à Lhassa (1924)
Déguisés respectivement en mendiante et en moine et portant un sac à dos le plus discret possible, Alexandra et Yongden partent ensuite pour la ville interdite. Pour ne pas trahir sa qualité d’étrangère, Alexandra, alors âgée de 56 ans, n’ose pas emporter d’appareil photo, de matériel de relevé ; elle cache toutefois sous ses haillons une boussole, un pistolet et une bourse avec l’argent d’une éventuelle rançon.
Ils atteignent finalement Lhassa en 1924, se fondant dans la foule des pèlerins venus célébrer le Mönlam ou « fête de la Grande Prière ». Ils y séjournent deux mois durant, visitant la ville sainte et les grands monastères environnants : Drépung, Séra, Ganden, Samye, et rencontrent Swami Asuri Kapila (Cesar Della Rosa Bendio). Alexandra n’est pas accueillie par le dalaï-lama ni par ses assistants, on ne lui montre pas les trésors des lamaseries ni ne lui décerne de diplôme. Elle connaît bien le dalaï-lama mais celui-ci ignore qu’elle est à Lhassa, et elle ne peut révéler son identité.
Alors qu’elle décrira dans Voyages d’une Parisienne à Lhassa son exultation de pouvoir entrer à Lhassa et visiter le Potala, elle affirme dans une lettre adressée à son mari et datée du 28 février 1924 qu’elle n’avait aucune curiosité au sujet de Lhassa : « J’y suis allée parce que la ville se trouvait sur ma route et aussi parce que c’était une plaisanterie très parisienne à faire à ceux qui en interdisent l’entrée. ». Elle assiste, peu avant son départ de la ville, à la cérémonie du Tsomchö Sertreng au Potala le 4 avril 1924.
Malgré son visage barbouillé de suie, ses nattes en poil de yak et sa toque de fourrure traditionnelle, elle est finalement démasquée (pour cause de propreté trop grande – elle allait se laver chaque matin à la rivière) et dénoncée à Tsarong Shapé, le gouverneur de Lhassa. Le temps que ce dernier intervienne, Alexandra et Yongden ont déjà quitté Lhassa pour Gyantsé. Ce n’est que plus tard, par des lettres de Frank Ludlow et de David Macdonald, l’agent commercial britannique à Gyantsé, qu’ils sont mis au courant de l’histoire.
En mai 1924, l’exploratrice, exténuée, « sans argent et en haillons », est hébergée, ainsi que son compagnon, chez les Macdonald pendant une quinzaine de jours. Elle peut gagner le nord de l’Inde par le Sikkim grâce en partie aux 500 roupies qu’elle emprunte à Macdonald et aux papiers nécessaires que celui-ci et son gendre, le capitaine Perry, lui procurent. À Calcutta, vêtue de la nouvelle tenue tibétaine que lui a achetée Mcdonald, elle se fait photographier en studio.
À son retour, dès son arrivée au Havre le 10 mai 1925, elle mesure l’extraordinaire célébrité que lui vaut son audace. Elle fait la Une des journaux et son portrait s’étale dans les magazines. Le récit de son aventure fera l’objet d’un livre, Voyage d’une Parisienne à Lhassa, qui est publié à Paris, Londres et New York, en 1927, mais se heurte à l’incrédulité de la critique qui a du mal à accepter les récits de pratiques telles que la lévitation et le tumo (augmentation de la chaleur du corps permettant de résister au froid).
1925-1937 : l’intermède européen
Rentrée en France, Alexandra David-Néel loue une petite maison sur les hauteurs de Toulon et cherche une maison au soleil et sans trop de voisins. Une agence de Marseille lui propose une petite maison à Digne-les-Bains en 1928, qu’elle achète. Quatre ans plus tard, elle commence à agrandir sa maison, baptisée Samten-Dzong ou « forteresse de la méditation », probablement le premier ermitage et sanctuaire lamaïste en France. Elle y écrit plusieurs livres relatant ses différents voyages.
Entre ces diverses publications – toujours accompagnée d’Aphur Yongden, le fidèle compagnon d’aventures, devenu légalement son fils adoptif – elle fait de grandes tournées de conférences en France et en Europe.
1937-1946 : le périple chinois et la retraite tibétaine
En 1937, à soixante-neuf ans, Alexandra David-Néel décide de repartir pour la Chine avec Yongden via Bruxelles, Moscou et le transsibérien. Son but est d’étudier l’ancien « taoïsme ». Elle se retrouve en pleine guerre sino-japonaise et assiste aux horreurs de la guerre, de la famine et des épidémies. Fuyant les combats, elle erre en Chine avec des moyens de fortune. Le périple chinois se déroule sur un an et demi entre Pékin, le Mont Wutai, Hankou et Chengdu. Elle rejoint le 4 juillet 1938 la ville tibétaine de Tatsienlou pour une retraite de cinq ans.
L’annonce de la mort de son mari en 1941 l’affecte profondément. En 1945, elle rejoint l’Inde grâce à Christian Fouchet, consul de France à Calcutta, qui deviendra un ami. Elle quitte définitivement l’Asie avec Aphur Yongden par avion au départ de Calcutta en juin 1946. Le 1er juillet, ils arrivent à Paris, où ils restent jusqu’en octobre, puis rejoignent Digne-les-Bains.
1946-1969 : la Dame de Digne
À 78 ans, Alexandra David-Néel rentre en France pour régler la succession de son mari, puis recommence à écrire depuis sa maison de Digne.
En 1952, elle publie les Textes tibétains inédits, anthologie de la littérature tibétaine comprenant, entre autres choses, les poèmes érotiques attribués au 6ème dalaï-lama. En 1953, les suit un ouvrage d’actualité, Le vieux Tibet face à la Chine nouvelle, dans lequel elle donne « un avis sûr et documenté » sur la situation tendue dans les régions parcourues naguère par elle.
Elle a la douleur de perdre brusquement Yongden le 7 octobre 1955. Selon Jacques Brosse, celui-ci, saisi d’une forte fièvre et de vomissements, qu’Alexandra attribue d’abord à une simple indigestion, tombe dans le coma pendant la nuit et meurt foudroyé par une crise d’urémie selon le diagnostic du médecin. Alors qu’elle vient d’avoir 87 ans, Alexandra se retrouve définitivement seule. Les cendres de Yongden sont déposées dans l’oratoire tibétain de Samten Dzong, en attendant d’être jetées dans le Gange, avec celles d’Alexandra après sa mort.
Avec l’âge, Alexandra souffre de plus en plus de rhumatismes articulaires qui l’obligent à marcher avec des cannes. « Je marche sur mes bras », disait-elle. Son rythme de travail ralentit : elle ne publie rien en 1955 et 1956, et, en 1957, seulement la troisième édition des Initiations lamaïques.
En avril 1957, elle quitte Samten Dzong, pour aller vivre à Monaco auprès d’une amie qui depuis toujours dactylographie ses manuscrits, puis décide de vivre seule à l’hôtel, allant d’un établissement à l’autre, jusqu’en juin 1959, où on lui présente une jeune femme, Marie-Madeleine Peyronnet, qu’elle engage comme secrétaire. Celle-ci restera aux côtés de la vieille dame jusqu’à la fin, « veillant sur elle comme une fille sur sa mère – et parfois comme une mère sur son enfant insupportable –, mais aussi comme un disciple au service de son gourou », selon les mots de Jacques Brosse. Alexandra David-Néel la surnomme « Tortue ».
Arnaud Desjardins, écrivain et réalisateur, publie Le Message des Tibétains en 1966, peu de temps avant d’enregistrer un entretien télévisé d’Alexandra David-Néel, le seul qu’elle ait jamais donné. Desjardins a rencontré pour la première fois le 14e dalaï-lama en 1963, qui, apprenant qu’il est français, lui demande s’il a lu les ouvrages d’Alexandra David-Néel et s’il l’a rencontrée, ce qu’il n’avait pas encore fait. Cette remarque incite Desjardins à entrer en contact avec l’exploratrice. L’occasion en est la réalisation d’une émission pour la deuxième chaîne de l’ORTF, L’invité du dimanche, consacrée à Desjardins et pour laquelle ce dernier choisit comme témoignage celui d’Alexandra David-Néel. Le film a été réalisé au cours d’une visite de 2 jours à Digne où elle vient de fêter son centenaire et où il rencontra aussi Marie-Madeleine Peyronnet. D’un long enregistrement, à peine 12 minutes sont diffusées, où elle lui donne du « cher camarade », tous deux étant membres de la société des explorateurs français. Desjardins garde le souvenir de son humour et de son érudition en matière de bouddhisme.
En 1964, à 95 ans, Alexandra dédie son dernier ouvrage, Quarante siècles d’expansion chinoise, à son collaborateur fidèle, Yongden, mort quelque dix ans plus tôt.
À 100 ans, elle demande le renouvellement de son passeport au préfet des Basses-Alpes.
Elle s’éteint le 8 septembre 1969, à presque 101 ans. Ses cendres sont transportées à Vârânasî (Bénarès) en 1973 par Marie-Madeleine Peyronnet pour être dispersées avec celles de son fils adoptif dans le Gange.
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Un personnage pour l’Appel de Cthulhu
Retrouvez ci-dessous une fiche de personnage pour l’Appel de Cthulhu / Années Folles dans les règles 5.5. Et également une fiche de PNJ, selon comme vous voudrez l’utiliser… Ce seraient les caractéristiques d’Alexandra David-Néel dans les années 20 à 30…
Et vous pourriez également avoir besoin de la fiche du fils adoptif d’Alexandra, le Lama Aphur Yongden.
Vous pouvez retrouver également d’autres fiches de PNJ disséminées dans ce texte :
- Alexandra quand elle était Cantatrice sous le nom d’Alexandra Myrial ;
- Maria Deraisme ;
- Elisée Reclus ;
- Marguerite Durand ;
- Le Lama Kazi Dawa Samdup ;
- Le moine japonais Ekai Kawaguchi ;
- Le Maharaja Sidkéong Tulku Namgyal ;
- Le jeune Aphur Yongden.