Hier après-midi il y avait pas mal de monde au Nouveau Théâtre de Perpignan pour découvrir l’adaptation de Tolkien par Ralph Bakshi. Affiche intrigante, promesse de “dessin animé” — mais ce que nous avons vu n’a rien d’un Disney.

Une animation pas comme les autres

Bakshi a utilisé la rotoscopie : des acteurs filmés en prises de vue réelles, puis redessinés image par image. Le résultat est étrange, presque inquiétant. Les orques semblent vivants, les batailles pèsent d’un poids inhabituel. Ce n’est pas l’animation joyeuse des studios américains : c’est lourd, hypnotique, parfois dérangeant.






Échos de la presse américaine (1978)
En fouillant dans les colonnes des journaux d’outre-Atlantique, voilà ce qui ressort du Lord of the Rings de Bakshi :
- Chicago Sun-Times (Roger Ebert) : « Un travail tout à fait respectable, parfois impressionnant… mais loin du charme du roman original. »
- The Hollywood Reporter : « Audacieux et inhabituel dans son concept. »
- Newsday (Joseph Gelmis) : « La récompense principale du film est une expérience visuelle différente de tout ce que l’animation propose aujourd’hui. »
- New York Times (Vincent Canby) : « À la fois engourdissant et impressionnant. »
- New York Magazine (David Denby) : « La violence insensée du film m’a laissé épuisé et écœuré. »
- Michael Barrier (historien de l’animation) : « Bakshi manquait cruellement de l’auto-discipline artistique qui lui aurait permis de dépasser ses limites. »
On sourit en lisant ces avis : entre le « respectable » et le « dégoûtant », la presse US s’est visiblement sentie bousculée.
Pas étonnant : l’animation de Bakshi n’a rien de gentil, et Tolkien n’est pas Disney. En France, on jugera peut-être avec moins de préjugés… mais tout aussi de perplexité.



Tolkien en France ?

Rappelons que Tolkien est encore peu connu ici. La traduction de La Communauté de l’Anneau date d’à peine huit ans, diffusée chez Christian Bourgois, mais reste confidentielle. Beaucoup dans la salle n’avaient jamais ouvert le livre. Le film a donc servi de première rencontre avec cet univers.
Une épopée coupée en deux
Le récit s’interrompt brutalement, au milieu des Deux Tours. Bakshi voulait faire deux films, mais le distributeur a retiré la mention “Part One”. Résultat : une fin abrupte, frustrante, qui laisse l’impression qu’on nous a arraché le livre des mains. On sort comblé par les images, mais privé de conclusion.



À quoi cela fait penser…
Certains spectateurs ont murmuré que cette histoire d’aventuriers, de monstres et de quêtes rappelle ces nouveaux “Role-Playing Games” venus d’Amérique.
On en chuchote dans quelques cercles : Dungeons & Dragons, paraît-il, existe déjà en boîtes importées. Certaines contiendraient même des feuillets en français, traduits à la hâte. C’est encore confidentiel, presque clandestin, mais l’idée est là : incarner des personnages, explorer des mondes, raconter des histoires à plusieurs.

Verdict ?
Ce Seigneur des Anneaux n’est pas un film pour enfants. C’est une tentative unique : sombre, inachevée, déroutante. Mais pour qui rêve d’univers fantastiques, il ouvre des portes. Et peut-être que demain, ces univers passeront non seulement par les livres et les écrans, mais aussi par ces étranges jeux d’imagination dont on commence à entendre parler.


