Ah, les univers parallèles

Ils peuplent nos séries préférées, nos vieilles nouvelles pulp, nos campagnes de JdR, et, parfois, nos hypothèses scientifiques les plus sérieuses. Mais si on pose un instant les dés et les manuels, que reste-t-il vraiment entre science, supposition et pur délire créatif ?


La lecture d’un article récent de Géo donne matière (c’est le cas de le dire) à réflexion. Ca évoque la possibilité d’un univers parallèle.

L’article présente une théorie intrigante selon laquelle la matière noire — cette substance invisible aux effets gravitationnels mystérieux — pourrait être issue d’un univers miroir parallèle. Dans ce monde caché, des particules semblables aux nôtres auraient pu se former dans les moments post-Big Bang, et leur influence gravitationnelle serait ce que nous appelons matière noire. C’est une idée modélisable et élégante… mais jusqu’à preuve du contraire, cela reste de la pure spéculation.


Ce qu’on sait (du moins, jusqu’à preuve du contraire)

La matière noire1, c’est un peu la grande silhouette dans l’ombre au fond de la salle : on sait qu’elle est là, mais on ne voit rien de son visage. Ce qu’on a de concret :

  • Effets gravitationnels mesurés : les galaxies tournent trop vite pour que leur seule masse visible suffise. Quelque chose, invisible, les maintient en cohésion.
  • Aucune interaction avec la lumière : elle ne brille pas, n’absorbe pas, ne réfléchit pas. On la détecte uniquement via sa gravité.
  • Poids lourd cosmique : elle représenterait environ 27 % de la composition totale de l’Univers, contre à peine 5 % pour la matière « normale ».
  • Indices solides : observation du Bullet Cluster2, effets de lentilles gravitationnelles, distribution à grande échelle des galaxies.

Tout ça, c’est du mesuré, pas du roman.


Ce qu’on suppose (et qui fait rêver les théoriciens)

Là, on commence à tirer des fils dans la pénombre.

  • Nature possible : WIMPs3, axions, neutrinos stériles… ou des particules venues d’un secteur caché.
  • Origine : restes du Big Bang, micro-trous noirs primordiaux, effets d’un univers « miroir » gravitationnellement lié au nôtre.
  • Autres pistes : et si on s’était trompés ? Peut-être pas de matière noire, juste une gravité à réécrire (théories MOND4 et autres).
  • Pourquoi on rame : toutes les expériences de détection directe ont, pour l’instant, fait chou blanc.

Bref : beaucoup de pistes, aucun tueur en série attrapé sur la scène du crime.


Ce qu’on aimerait être vrai (et que la fiction explore déjà depuis un siècle)

Avouons-le : l’idée d’univers parallèles qui existent vraiment et qu’on pourrait visiter… ça, c’est irrésistible.

  • Multivers inflationnaire5 : chaque « bulle » d’univers née de l’expansion initiale vit sa propre histoire.
  • Univers miroir : identique au nôtre mais peuplé de particules jumelles invisibles, où tout pourrait être inversé… jusqu’aux alignements moraux façon Star Trek.
  • Many-Worlds d’Everett6 : chaque choix, chaque hasard crée une branche parallèle.
  • Échanges possibles : trous de ver, anomalies gravitationnelles, bidouilles quantiques — pour l’instant, uniquement sur papier (ou à l’écran).

La fiction s’en donne à cœur joie :

  • Fringe et ses tensions inter-univers,
  • The Man in the High Castle et ses réalités alternatives accessibles,
  • Dark et ses mondes enchevêtrés dans le temps.

Ces histoires servent de laboratoires d’idées : elles testent, à échelle narrative, des scénarios impossibles en physique expérimentale.


Quand science et imaginaire se passent le relais

La science fixe les règles du moment.

La fiction, elle, les tord, les plie, les casse pour voir ce qui se passe. Et parfois, des idées qui semblaient folles (voyage spatial, trous noirs, IA) finissent par devenir des terrains d’expérimentation réelle.

Les univers parallèles sont peut-être encore de l’ordre du conte scientifique… mais c’est souvent dans ces zones de flou que naissent les prochaines révolutions intellectuelles. En attendant, on peut continuer à en faire le décor d’un scénario, la base d’un roman, ou le moteur d’une hypothèse audacieuse.

Et qui sait ? Le prochain contact inter-univers, ce sera peut-être un scientifique… ou votre MJ, un soir de partie.

photo of deep sky object

Photo by Alex Andrews on Pexels.com

  1. La Matière Noire (ou matière sombre), est une catégorie de matière hypothétique, invoquée dans le cadre du Modèle ΛCDM pour rendre compte de certaines observations astrophysiques, notamment les estimations de la masse des galaxies ou des amas de galaxies et les propriétés des fluctuations du fond diffus cosmologique. ↩︎
  2. En français, le Bullet Cluster c’est L’amas de la Balle, aussi appelé 1E 0657–56. C’est le résultat de la collision de deux amas de galaxies. Cette collision a dégagé l’énergie la plus élevée de l’Univers depuis le Big Bang. L’amas de la Balle se trouve dans la constellation australe de la Carène. ↩︎
  3. Les particules massives à faible interaction , ou WIMP, représentent une classe de particules hypothétique pour expliquer la matière noire. Elles n’absorbent ni n’émettent de lumière et n’interagissent pas fortement avec les autres particules. Cependant, lorsqu’elles se rencontrent, elles s’annihilent et produisent des rayons gamma. ↩︎
  4. Modified Newtonian dynamics : La théorie de la dynamique newtonienne modifiée, en anglais Modified Newtonian dynamics et usuellement abrégée en (théorie) MOND, est une théorie physique, adaptée de la mécanique classique, proposée pour expliquer le problème de la courbe de rotation plate des galaxies spirales. Elle constitue une alternative au concept de matière noire, dont l’existence n’a toujours pas pu être mise en évidence.
    Il a été calculé que si la matière noire existait, alors elle aurait une abondance au moins cinq fois plus importante que la matière baryonique, pour constituer de 83 % à 90 % de la densité totale de l’Univers observable, selon les modèles de formation et d’évolution des galaxies, ainsi que les modèles cosmologiques.
    MOND repose sur une modification de la seconde loi de Newton aux accélérations très faibles. Elle est généralisée dans le cadre d’une théorie relativiste, la théorie tenseur-scalaire. ↩︎
  5. L’inflation cosmique est un modèle cosmologique s’insérant dans le paradigme du Big Bang lors duquel une région de l’Univers comprenant l’Univers observable a connu une phase d’expansion très rapide qui lui aurait permis de grossir d’un facteur considérable : au moins 1026 en un temps extrêmement bref, compris entre 10-36 et 10-33 secondes après le Big Bang. Ce modèle cosmologique offre une solution à la fois au problème de l’horizon et au problème de la platitude. ↩︎
  6. La théorie d’Everett, appelée parfois théorie des états relatifs, des mondes multiples (many-worlds) ou des observateurs multiples (many-minds), est une formulation de la mécanique quantique fondée uniquement sur l’évolution déterministe de l’équation de Schrödinger, qui, appliquée à l’univers entier, régit son état quantique. ↩︎


En savoir plus sur SCRiiiPT

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.