Le Burlesque : du cabaret à la scène de jeu

Du music-hall parisien au néo-burlesque queer, le burlesque traverse satire, scandale et lois absurdes sur la nudité. Entre Gypsy Rose Lee, Lili St. Cyr ou Joséphine Baker, il devient décor d’intrigues parfait pour le jeu de rôle : coulisses interlopes, tensions sociales et personnages hauts en couleur.

Pourquoi

parler

de burlesque sur

un site

de jeu de rôle ?

Le burlesque, c’est à la fois un mot ancien et une réalité mouvante. Il vient de l’italien burlesco — la blague, la moquerie — et désigne à l’origine des formes théâtrales satiriques.
Mais au tournant du XIXᵉ et du XXᵉ siècle, le mot s’installe durablement dans l’imaginaire scénique, jusqu’à devenir synonyme de plumes, d’effeuillage, d’humour et de provocation.

Un monde idéal pour planter le décor d’une enquête dans L’Appel de Cthulhu, ou pour donner du relief à un personnage joueur.

On pourrait croire qu’évoquer le burlesque, les effeuillages et les cabarets, n’est qu’un détour futile ou un prétexte décoratif. Mais ce serait passer à côté de ce que ce sujet révèle de plus profond — et qui a tout à voir avec l’histoire, la culture et nos imaginaires ludiques.

Pourquoi parler de burlesque en jeu de rôle ?

Donner du contexte au-delà des clichés

Derrière les paillettes, il y a une histoire de contraintes et d’inventivité : lois absurdes sur la nudité, directeurs de salles tyranniques, conditions précaires, artistes qui jonglaient entre désir de liberté et nécessité de survivre.

Comprendre l’impact culturel des lois américaines

Pourquoi les danseuses portaient-elles des pasties ? Parce que la loi interdisait de montrer les tétons, mais pas forcément les seins. Ce genre de détail juridique, ridicule en apparence, a façonné toute une esthétique. Les contraintes légales ont eu un effet domino sur le cinéma, la photo glamour et l’imaginaire populaire.

Questionner nos propres représentations

Le burlesque oblige à poser la question du corps féminin : espace d’émancipation ou objetification ? Cette tension traverse encore nos fictions : amazones en bikini, pin-ups pulp, héroïnes hypersexualisées.

Comment sortir de l’impasse

Il ne s’agit pas d’éviter le sujet, mais de l’enrichir : montrer des trajectoires personnelles, des luttes sociales, des personnages à la fois victimes et actrices.

le burlesque

En somme, parler du burlesque dans un article sur le jeu de rôle, c’est élargir la focale. Ce n’est pas faire du cabaret une décoration kitsch, c’est comprendre comment un art mineur, encadré par la loi et méprisé par l’élite, est devenu un miroir de nos obsessions collectives. Et c’est se donner la possibilité, à la table de jeu, de manipuler cet héritage avec intelligence, en évitant le piège du voyeurisme, pour en faire une matière dramatique et humaine.

Un peu d’histoire du burlesque

XIXᵉ siècle (Angleterre) – Le « Victorian burlesque »

En Grande-Bretagne, le mot « burlesque » renvoie d’abord à des parodies théâtrales et musicales jouées au Strand et au Gaiety Theatre : on détourne Shakespeare, l’opéra ou le ballet avec couplets rimés, pastiches d’airs connus, chorégraphies et travestissements (beaucoup de rôles masculins tenus par des actrices en « breeches roles » pour exhiber les jambes en collants).

Il s’agit d’un spectacle grivois mais pas d’un nu dansant ; la veine dominante reste la satire scénique (années 1860‑1890).

1868 (États‑Unis) – Lydia Thompson et les « British Blondes »

En août 1868, Lydia Thompson débarque à New York avec ses « British Blondes ». Le cocktail parodie‑chanson‑danse‑cross‑dressing fait un triomphe… et un tollé moral. La saison 1868‑1869 lance la mode mais déclenche dès l’été 1869 une « anti‑burlesque hysteria » dans la presse, chassant une partie du public bourgeois tout en propulsant la troupe en tournée nationale.

Cette irruption fixe durablement le mot « burlesque » dans le vocabulaire américain.

Idée rôliste : Dans Cthulhu 1890, un théâtre burlesque peut servir de façade à des réunions occultes, ou devenir le lieu d’un scandale qui attire la presse et les investigateurs.


1889–années 1910 (France) – Cancan et grandes revues

À Paris, le Moulin Rouge (1889) popularise le cancan : haute énergie, jupes qui volent, impertinence, mais pas de nudité intégrale ; c’est le grand music‑hall de la Belle Époque.

Mistinguett s’y impose dès 1907 (valse « chaloupée » avec Max Dearly) avant de régner sur les grandes revues des années 1910‑1920 (Folies‑Bergère, Casino de Paris).

On est dans l’audace chorégraphiée et la vedette de music‑hall, pas dans le strip.

Mata Hari (1876-1917)

Le cas particulier de Mata Hari

Mata Hari (1876-1917) occupe une place singulière. Née Margaretha Zelle aux Pays-Bas, elle se réinvente à Paris dès 1905 comme “danseuse orientale”. Ses spectacles, construits de toutes pièces, mêlaient voiles, bijoux et récits pseudo-hindous ou javanais. Plus proche d’une mise en scène d’exotisme colonial fantasmé que du burlesque satirique américain, elle scandalise et fascine par ses dénudés progressifs. Sa carrière bascule avec la Première Guerre mondiale : accusée d’espionnage pour l’Allemagne, elle est fusillée en 1917.
Dans l’imaginaire collectif, Mata Hari est devenue l’archétype de la danseuse-espionne, mélange de séduction, de mystère et de danger. Pour le jeu de rôle, son cas illustre parfaitement comment un spectacle de cabaret ou de “danse exotique” peut servir de couverture à des intrigues plus sombres.

1907–1931 (Broadway) – Les Ziegfeld Follies

Florenz Ziegfeld lance en 1907 une série de revues luxueuses inspirées des scènes parisiennes. Showgirls, comiques et numéros musicaux composent un spectacle mondain et glamour, toujours sans effeuillage : c’est la vitrine chic de Broadway avant la crise.

Ziegfeld Follies

Années 1910–30 (France) – Mistinguett & Joséphine Baker

La « meneuse » Mistinguett incarne le music‑hall français de l’entre‑deux‑guerres ; en 1925, Joséphine Baker explose à Paris (Revue nègre), puis devient vedette des Folies‑Bergère en 1926‑1927.

Sa « danse sauvage » et la fameuse ceinture de bananes jouent des stéréotypes coloniaux de l’époque : immense succès… et polémique.

Années 1920–30 (États‑Unis) – Âge d’or du burlesque

Sur les circuits Minskys & Cie, le burlesque américain mêle comiques et striptease. Sally Rand popularise la fan dance et la bubble dance, notamment à l’Exposition universelle de Chicago (1933), où ses arrestations font la une avant que son acquittement ne soit confirmé en 1934 ; Faith Bacon revendique, elle, l’invention antérieure du numéro aux éventails dans les revues d’Earl Carroll (1930).

Dans une autre veine, Gypsy Rose Lee impose un strip « intellectuel », bavard et spirituel, qui met autant le verbe que le geste au cœur du numéro. En 1937, la croisade morale du maire LaGuardia entraîne la fermeture des salles new‑yorkaises : licences retirées, « burlesque » banni d’enseigne ; l’empire Minsky ne s’en relève pas.

Idée rôliste : Dans les années 20–30 de Cthulhu, le burlesque est un décor idéal pour une enquête urbaine. Les coulisses cachent de petits trafics, les loges bruissent de ragots utiles, et les danseuses savent qui fréquente les loges privées.


Années 1950 – Somptueux numéros et lignes de fracture

Côté nord‑américain, Lili St. Cyr perfectionne des tableaux sophistiqués (baignoire, « rhabillage » lent). À Montréal, elle contourne un règlement municipal interdisant de quitter la scène moins vêtue qu’à l’entrée : elle commence nue dans un bain moussant et se rhabille — tout en cumulant procès et triomphes.

À Hollywood (1951), elle est acquittée dans une affaire d’« indécence ».

En France, l’apogée de la revue nue voit Yvonne Ménard star aux Folies‑Bergère, tandis qu’Alain Bernardin fonde à Paris le Crazy Horse Saloon (1951), cabaret de « nu habillé par la lumière » qui revendique l’inspiration des showgirls américaines (et que des sources relient explicitement à un choc Esthétique devant St. Cyr au Gayety).

Idée rôliste : Dans une campagne contemporaine (Cthulhu Now, Delta Green), une ancienne star du burlesque peut devenir témoin d’une affaire, gardienne de souvenirs compromettants, ou figure tragique dont le passé ressurgit.

Années 1950–60 (Royaume-Uni) – Windmill & Glamour

À Londres, le Windmill Theatre (1931–1964) se spécialise dans les tableaux vivants : des modèles nus mais immobiles, “If you move, it’s rude. Après la guerre, la formule évolue vers des numéros plus dénudés, avec des danseuses topless.

C’est là qu’une jeune June Palmer débute en 1959, avant de devenir l’un des modèles glamour les plus célèbres des années 1960, aux côtés de Pamela Green, pionnière de la photographie érotique britannique avec George Harrison Marks.

Cette esthétique — plus proche du glamour et de la pin-up que du burlesque américain — a durablement marqué l’imaginaire. Elle inspire encore aujourd’hui certains artistes néo-burlesques qui jouent sur le mélange de cabaret, de photo rétro et d’érotisme stylisé.

D’Autres figures britanniques notables à la même époque :

Pamela Green (1929–2010) : modèle glamour, danseuse dans des revues londoniennes, cofondatrice du magazine Kamera. Elle incarne la bascule entre scène et photo.

Phyllis Dixey (1914–1964) : considérée comme la première stripteaseuse professionnelle du Royaume-Uni. Elle dirige son propre théâtre (The Whitehall Follies) à Londres dans les années 1940. Sa carrière décline avec l’arrivée du nu plus frontal dans les années 50, mais elle reste une pionnière du burlesque britannique.

Ruth Ellis (avant son destin tragique en 1955, dernière femme pendue au Royaume-Uni) avait aussi travaillé comme hôtesse et modèle glamour dans le Londres d’après-guerre — elle illustre la porosité entre ces milieux.


Idée rôliste : Paris des années 30 ou Londres des années 50/60 deviennent des décors idéaux pour des intrigues mêlant art, scandale et société interlope.

encadré

Nudité, lois et pasties : morale à géométrie variable

Dans l’Amérique du début du XXᵉ siècle, la nudité sur scène est surveillée de près. Les législations locales varient, mais toutes partent du même principe : la nudité intégrale est obscène. En 1937, New York ferme le mythique Minsky’s Burlesque, entraînant une loi de l’État qui bannit le striptease public.

Plutôt que d’interdire complètement, de nombreuses municipalités définissent des seuils de pudeur :

  • tétons et pubis visibles = indécence ;
  • cache-tétons (“pasties”) et G-string = pas légalement nus.

C’est ainsi que naît l’iconographie du burlesque américain : un art du contournement légal. Les danseuses se couvrent de strass minuscules, parfois avec des pompons tournoyants, transformant l’interdit en effet de spectacle.

Lili St. Cyr

En parallèle, certaines villes imposent que les artistes quittent la scène avec autant ou plus de vêtements qu’à l’entrée. Lili St. Cyr contournera cette règle au Canada avec un numéro resté célèbre : entrer nue dans une baignoire à bulles, puis se rhabiller lentement.

Cette morale est à géométrie variable : montrer une jambe en mouvement pouvait être scandaleux à Londres (d’où les “tableaux vivants” figés du Windmill Theatre), tandis qu’aux États-Unis, les seins étaient tolérés tant que les tétons disparaissaient sous un pastie. Une logique absurde, mais révélatrice d’une société obsédée par des détails anatomiques plutôt que par le contexte artistique.


Années 1990–aujourd’hui – Le néo‑burlesque

Dans les années 1990, la scène renaît dans une version performative, queer et féministe (Blue Angel Cabaret à New York dès 1994, puis festivals).

Dita Von Teese popularise mondialement une esthétique rétro‑glamour ; Dirty Martini est sacrée Miss Exotic World en 2004.

Le boylesque et des artistes non‑binaires gagnent leur place (Murray Hill, Tigger!, Jett Adore).

Idée rôliste : Dans un cadre contemporain, un club néo-burlesque peut être un terrain de jeu pour l’espionnage urbain, les rencontres étranges, ou le théâtre d’une performance qui vire au rituel inquiétant.


Le burlesque comme décor de jeu

Intégrer le burlesque dans une partie de jeu de rôle, ce n’est pas seulement poser une scène “exotique” avec plumes et jazz. C’est utiliser un univers social complet, avec ses codes, ses tensions et ses coulisses.

Un cabaret burlesque peut devenir un décor récurrent, un lieu d’information, ou le cœur d’une intrigue. Il suffit de penser à ce qu’on y croise :

Un cadre vivant

Salles enfumées, rires trop forts, jazz ou swing, cocktails mal dosés. Dans le même public, on peut trouver un policier en civil, un journaliste, un notable curieux ou un voyou. Tout ce petit monde se mélange, mais chacun a ses secrets.

Des PNJ hauts en couleur

Les danseuses ne sont pas seulement “des silhouettes sexy” : ce sont des personnalités. Certaines sont ambitieuses, d’autres désabusées. Les patrons jonglent entre police des mœurs et argent sale. Les costumiers, maquilleurs et musiciens bavards voient et entendent plus de choses qu’ils ne le devraient.

Des tensions sociales

Le burlesque est un champ de bataille miniature. Puritains contre modernité, féminité revendiquée face à l’exploitation, police des mœurs contre petits arrangements. À Paris dans les années 1920, à New York sous la Prohibition ou à Montréal dans les années 1950, la question est toujours la même : qui tolère quoi, et pourquoi ?

Des secrets de coulisses

Les loges et les arrière-scènes sont des labyrinthes. On y cache des armes, des documents, des amants ou des cultistes. Derrière un rideau ou une porte grinçante, la frontière entre spectacle et drame est mince.