Cinéma sulfureux et jeux de rôle : Quand les débuts du 7e art inspiraient l’interdit

À ses débuts, le cinéma était un laboratoire sans censure, explorant l’érotisme, l’horreur ou la satire anticléricale. Avant le Code Hays, des œuvres sulfureuses circulaient librement. Une source d’inspiration parfaite pour le jeu de rôle, entre enquêtes occultes, films maudits et scénarios subversifs dans l’envers oublié du 7e art.

Le cinéma d’aujourd’hui, qu’il soit grand public ou plus confidentiel, obéit à des codes bien établis. Pourtant, aux origines du 7ᵉ art, tout était encore à inventer. Et dans ce Far West cinématographique, certaines œuvres flirtèrent avec l’interdit : érotisme, horreur viscérale, satire anticléricale…

Il y a quelque chose d’éminemment rôliste dans cette période expérimentale, où chaque film était une audace, une exploration de territoires encore vierges. Pourquoi ne pas s’inspirer de cette époque trouble et fascinante pour le jeu de rôle ?


Une époque sans censure (ou presque)

Le cinéma naît à la fin du XIXᵉ siècle, un peu comme un gadget de foire, un tour de prestidigitation de plus dans l’arsenal des illusionnistes. Mais très vite, les réalisateurs comprennent que ce nouvel art ne se contente pas de reproduire la réalité : il peut aussi la transformer, la sublimer ou la pervertir.

L’absence de dialogues permet une certaine audace visuelle. Ainsi, dès 1896, Le Coucher de la mariée montre une femme en train d’ôter ses vêtements dans un strip-tease précurseur.

Quelques années plus tard, des films destinés aux bordels circulent sous le manteau, comme A L’Ecu d’Or ou la bonne auberge (1908).

Côté horreur, Georges Méliès innove avec Le Manoir du Diable (1896), où des démons dansent autour d’un chaudron infernal.

Aux États-Unis, Edison Studios filme en 1910 la première adaptation de Frankenstein, une version cauchemardesque et surréaliste du monstre.

Les provocations ne se limitent pas au corps ou aux monstres. Häxan (1922), un pseudo-documentaire suédois sur la sorcellerie, mélange scènes explicites, iconographie satanique et dénonciation de l’hypocrisie religieuse.

Plus tard, Buñuel et Dalí créent L’Âge d’Or (1930), où une femme suce goulûment l’orteil d’une statue, tandis que les autorités religieuses crient au blasphème.

Mais ce joyeux chaos ne pouvait durer. Peu à peu, les ligues de vertu, l’Église et les gouvernements s’inquiètent de cette liberté trop grande. Dès les années 1910, des censures locales émergent.

Hollywood, pour éviter un contrôle étatique trop sévère, s’impose en 1930 le Code Hays, interdisant le sexe explicite, la drogue, l’homosexualité, ou encore la représentation du crime impuni. Les films sulfureux deviennent des objets clandestins, réservés aux initiés.


Sur cette photo publicitaire de 1931, Dorothy Mackaill incarne une secrétaire devenue prostituée dans Safe in Hell, un film Warner Bros. tourné avant le Code Hays.
Wikimedia / (CC BY-SA 4.0)

Un contexte parfait pour un jeu de rôle

L’ambiance des premières années du cinéma, c’est celle d’un âge d’or de l’interdit. Un terrain fertile pour des scénarios de jeu de rôle oscillant entre mystère, intrigue et subversion.

Option 1 : Une enquête dans les bas-fonds du cinéma muet (Cthulhu 1890, L’Appel de Cthulhu, Maléfices)

Imaginez un groupe d’investigateurs en 1905-1915, plongé dans une affaire sordide : un film mystérieux circule sous le manteau, tourné dans un studio abandonné, où l’actrice principale semble… absente de toute autre archive officielle. Une légende urbaine affirme que ceux qui le regardent meurent dans d’étranges circonstances. Fantasme macabre ou véritable malédiction ?

Inspiration rôliste : Un scénario façon 8mm avant l’heure, mêlant rumeurs et occultisme. Le film maudit pourrait être une porte vers une dimension interdite ou l’œuvre d’un réalisateur ayant pactisé avec des forces obscures.

Option 2 : L’Âge d’Or de la provocation (Verne & Associés 1913, Trauma, Simulacres)

Les années 1910-1920 voient des cinéastes de génie défier la censure. Un groupe de personnages – réalisateurs audacieux, journalistes, acteurs maudits – se retrouve embarqué dans une bataille entre ligues de vertu, gangsters et producteurs véreux.

Objectif : sortir un film tellement sulfureux qu’il entrera dans la légende… sans finir en prison ou assassiné par un magnat jaloux.

Inspiration rôliste : Une version pulp où des réalisateurs inspirés par Häxan ou L’Âge d’Or doivent se cacher des autorités tout en négociant avec les bas-fonds. Gangsters prêts à financer un film interdit ? Agent du gouvernement infiltré ? Mafia hollywoodienne manipulant le marché noir du film érotique ? Tout est possible.

Option 3 : Un cinéma qui réveille les morts (Chroniques Oubliées, Achtung!Cthulhu, Delta Green, Kult)

Et si les premiers films d’horreur n’étaient pas seulement de la fiction ? Un réalisateur inconnu du début du siècle aurait mis en images un rituel oublié, réveillant une force ancienne. Depuis, les copies perdues de son œuvre ressurgissent ici et là, et chaque projection a des conséquences de plus en plus terrifiantes.

Inspiration rôliste : Une traque à travers les archives, un film maudit dont il faut récupérer chaque fragment avant qu’il ne soit projeté à grande échelle. Un mix entre The Ring, Le Bateau Fantôme et le mythe du film qui tue.


Le cinéma sulfureux, un mythe toujours vivant ?

Malgré la censure, le cinéma n’a jamais cessé de braver les interdits. Les années 60-70 voient le retour du cinéma d’exploitation, qui renoue avec la provocation pure (films gore, érotiques, politiques…).

Aujourd’hui encore, des œuvres redécouvertes des débuts du XXᵉ siècle ressurgissent, fascinant les historiens du cinéma et les amateurs de bizarreries oubliées.

En jeu de rôle, cette période est une mine d’or pour des histoires où se mêlent création artistique, danger et fascination pour l’interdit. Que ce soit pour une enquête occulte, une aventure pulp ou un thriller historique, l’univers du cinéma des origines a tout pour plaire aux meneurs de jeu en quête d’une ambiance inédite.

Et vous, êtes-vous prêt à découvrir le film que personne ne doit voir ?


2 réponses à “Cinéma sulfureux et jeux de rôle : Quand les débuts du 7e art inspiraient l’interdit”

  1. Avatar de Anagrys

    Question : est-ce qu’on peut considérer comme « sulfureux » un film avec Roscoe Arbuckle qui serait diffusé après sa mise au ban des grands studios sous l’influence, déjà, du brave monsieur Hays, en 1922 ?
    Le code Hays a eu un avantage : pousser les réalisateurs à faire preuve de créativité, et à suggérer, parfois fortement, plutôt que montrer. Que serait Gilda sans son strip tease des bras, Les Enchaînés avec un baiser continu… les exemples abondent (même si ce sont les deux seuls qui me viennent à l’esprit, la faute à une culture cinématographique un peu légère) ?

    1. Avatar de scriiiptor

      Merci pour ce commentaire très juste (on sent la culture cinéphile ) et tu évoque des choses qu’on explore justement en ce moment dans une série d’articles à venir sur le Code Hays : avant, pendant, après.

      On y parlera bien sûr de Gilda, du fameux strip-tease des gants, du banter sexuel camouflé, de baisers impossibles mais interminables (Les Enchaînés, oui, bravo !) et de toute l’inventivité que la censure a paradoxalement déclenchée. Tout est quasi prêt, il nous manque juste les images et un planning de publication.

      Quant à Roscoe Arbuckle, tu as raison de le citer : ce n’est pas tant le contenu de ses films qui est « sulfureux », mais bien le contexte dans lequel ils ont été diffusés (ou censurés) après 1922. Et cette question reste ultra actuelle : que fait-on des œuvres d’un artiste « banni » ou « problématique » ? La mise au ban, qu’elle soit justifiée ou non, laisse une ombre sur les films, leurs acteurs, leur promotion. C’était vrai pour Arbuckle, ça l’est encore aujourd’hui pour d’autres (longue liste qu’on ne mettra pas ici, mais ça fait un paquet).

      « Bref, la pellicule n’oublie pas, même quand on essaie d’effacer »… C’était une phrase qui sonnait bien mais en fait, de nombreuses pellicules du début du cinéma ont bel et bien disparues (volontairement ou pas).

      (Et pour les cinéphiles rôlistes, on voit déjà quelques pistes de scénars, on en reparlera plus tard)

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