Dans l’Amérique des années 1920 et 1930, alors que la prose de F. Scott Fitzgerald définissait les contours d’une génération, un autre nom brillait presque aussi fort — celui de Katharine Brush. Romancière, nouvelliste, chroniqueuse et figure littéraire majeure de l’entre-deux-guerres, elle fut l’une des plumes les plus lues et les mieux payées de son temps. Et pourtant, son nom s’est peu à peu effacé des mémoires. Redonner voix à Katharine Brush, c’est exhumer l’un des regards les plus lucides, les plus vifs et les plus caustiques sur la société américaine de l’ère du jazz.
De l’éducation stricte à la presse populaire
Katharine Louise Ingham naît le 15 août 1902 à Middletown, dans le Connecticut, dans une famille d’enseignants. Son père, Charles S. Ingham, dirige l’Académie Dummer, un établissement pour garçons où elle grandit, immergée dans une atmosphère intellectuelle exigeante. Diplômée d’un pensionnat du New Jersey à seulement 16 ans, elle ne prend pas le chemin de l’université : elle file directement vers la presse, en devenant chroniqueuse cinéma pour le Boston Evening Traveller.
Ce premier poste ouvre la voie à une carrière étonnamment moderne pour une femme de son époque. Dans les années 1920, elle écrit sur le sport, le baseball et même la boxe, domaines alors presque exclusivement masculins. Elle couvre même la World Series pour plusieurs journaux de l’Ohio en 1925 et 1926 — un exploit rare à une époque où peu de femmes avaient voix au chapitre dans ce milieu.
De la chronique au roman : la romancière des Années folles
Très vite, Brush se tourne vers la fiction. Sa plume rapide, ironique et acérée séduit les grands magazines de l’époque — Harper’s, Cosmopolitan, Collier’s Weekly, The New Yorker — et ses nouvelles sont saluées pour leur sens de l’observation sociale et leur description sans fard des relations humaines.



Elle publie son premier roman, Glitter (1926), mais c’est avec Young Man of Manhattan (1930) qu’elle connaît la consécration. Best-seller immédiat, le roman explore les tensions de genre, d’ambition et d’amour dans le milieu des journalistes new-yorkais.


L’adaptation cinématographique sort la même année, avec Claudette Colbert et Ginger Rogers, dont la réplique « Cigarette me, big boy! » devient un slogan de l’époque.
Deux ans plus tard, Red-Headed Woman est porté à l’écran avec Jean Harlow, sur un scénario d’Anita Loos. Ces films, emblématiques de l’ère pré-Code Hays, témoignent de l’audace de Brush, qui n’hésite pas à traiter de sexualité féminine, de conflits de classe ou d’opportunisme social à une époque encore puritaine.


Une plume en avance sur son temps
Le style de Brush, souvent comparé à celui de Fitzgerald, se distingue pourtant par une touche plus ironique et mordante. Look décrivait son écriture comme « sophistiquée, rusée, pleine d’esprit, avec une réserve yankee — aussi américaine que le Charleston ». Son œuvre aborde le rêve américain sous son double visage : glamour et décadence, ambition et désillusion.

Elle reçoit plusieurs O. Henry Awards pour ses nouvelles, dont Him and Her (1929) et Good Wednesday (1931), confirmant son statut parmi les grandes stylistes de la fiction courte américaine.


Une vie mondaine et mélancolique
En 1929, elle épouse Hubert “Bobby” Winans, un homme d’affaires new-yorkais. Ensemble, ils s’installent dans un appartement spectaculaire conçu dans un style Late Speakeasy par Joseph Urban, avec un studio d’écriture circulaire et insonorisé — où, ironie du sort, l’acoustique empêchait Katharine d’écrire sereinement. Elle y compose pourtant certaines de ses œuvres majeures.
Mais derrière la réussite se cache une inquiétude persistante : Brush confie souvent à ses proches qu’elle craignait d’être oubliée après sa mort. Elle décède prématurément à New York en 1952, à l’âge de 49 ans, laissant inachevé un roman intitulé Lover Come Back.
Héritage et redécouverte
Après sa mort, son fils Thomas, devenu mécène et dirigeant de presse, finance la construction de la Katharine Brush Library à la Loomis Chaffee School. Le lieu abrite aujourd’hui ses manuscrits, ses notes et un immense portrait d’elle peint par Leon Gordon — neuf pieds de haut, comme pour rappeler qu’elle fut, littérairement, “larger than life”.

Bien que son nom ait pâli au fil du temps, ses textes continuent d’être étudiés. Sa nouvelle Birthday Party (1946) figure toujours au programme des classes de littérature américaine. Dans un monde qui redécouvre peu à peu les voix féminines oubliées de l’entre-deux-guerres, Katharine Brush mérite plus que jamais sa place aux côtés de Fitzgerald, Parker ou Wharton.


Pistes rôlistes : Jazz, ambition et désillusion
Katharine Brush n’est pas seulement une figure littéraire : c’est une porte d’entrée vers toute une époque. Ses récits regorgent d’idées pour des campagnes de jeu de rôle :
- Chronique sociale et secrets : Dans un Appel de Chulhu 1920 urbain, ses personnages mondains peuvent servir de façades respectables pour dissimuler d’obscures machinations.
- Presse et scandale : Une campagne Savage Worlds autour d’un journal new-yorkais pourrait s’inspirer de Young Man of Manhattan, entre luttes d’influence et révélations dangereuses.
- Pré-Code intrigues : Dans un univers pulp ou noir, les héroïnes à la Red-Headed Woman deviennent des manipulatrices ou des survivantes dans une société masculine hostile.
Katharine Brush nous parle encore : de femmes ambitieuses, de rêves déçus, de mondes en mutation. Oublier cette voix serait ignorer une part essentielle de ce que fut l’Amérique de l’entre-deux-guerres — et de ce qu’elle peut encore nous inspirer aujourd’hui.
Katharine Brush
(1902 – 1952)






