Et si Dracula n’était pas le monstre qu’on croyait ? Si Van Helsing était le vrai manipulateur ? Si l’Histoire, comme toujours, n’était racontée que par les vainqueurs ?
Fred Saberhagen (1930–2007) n’a peut-être pas la renommée d’une Anne Rice ou d’un Stephen King, mais il a signé une des plus malignes relectures du mythe de Dracula. Moins célèbre, mais plus subtile. Et pour qui aime les vampires avec un brin de panache, d’histoire détournée et de sarcasme immortel, ses Chroniques de Dracula forment un vrai trésor. Six romans traduits en français, une dizaine en VO, des passerelles vers Sherlock Holmes, la Révolution française ou encore l’ésotérisme américain — le tout raconté depuis le point de vue du comte lui-même.
Dracula, témoin à décharge
Tout commence avec Les Confessions de Dracula (The Dracula Tape, 1975). Le comte, las d’être diffamé, enregistre sur cassette (!) sa propre version des événements. Non, il n’a pas tué Lucy. Oui, Mina l’aimait. Et non, Van Helsing n’est pas un héros. C’est ironique, intelligent, et souvent drôle — le vampire y est plus humain que ses persécuteurs.
Saberhagen déroule ensuite une série d’aventures où Dracula traverse les siècles : de l’Amérique contemporaine à la Révolution française, en passant par l’Angleterre victorienne. Il affronte des vampires rivaux, enquête sur des phénomènes occultes, et s’offre même une joute d’esprit avec Sherlock Holmes. On est entre le feuilleton fantastique, le roman d’aventure historique et le conte moral.
En VF, on trouve quoi ?
Heureusement, plusieurs volumes ont été traduits en français dans les années 1990. Voici les principaux :
- Les Confessions de Dracula (The Dracula Tape, 1975)
- Le Dossier Holmes-Dracula (The Holmes-Dracula File, 1978)
- Un vieil ami de la famille (An Old Friend of the Family, 1979)
- Un amour de Dracula (Thorn, 1980)
- Dracula et les spirites (Séance for a Vampire, 1994)
- L’Échafaud pour Dracula (A Sharpness on the Neck, 1996)






On les trouve parfois en poche, souvent en occasion. Les autres tomes n’ont hélas jamais été traduits.
Coppola + Saberhagen = love story oubliée ?
Saberhagen a participé à la la novélisation officielle du film, parue en anglais chez Signet la même année. Ce n’est pas un détail : cette adaptation respecte fidèlement le script de James V. Hart, mais s’enrichit du regard d’un auteur qui connaissait Dracula comme peu d’autres. Cela donne au roman une cohérence discrète, un ton plus posé que le film, et des résonances étonnantes avec son propre cycle littéraire.
On peut rêver que si une suite au film de Coppola avait vu le jour, elle aurait emprunté le chemin de Saberhagen : un Dracula revenu à la vie, traqué mais lucide, opérant dans les coulisses d’un monde moderne qui le nie… mais qu’il comprend bien mieux que ses habitants.
Et en jeu de rôle ?
Il y a ici une mine d’or pour MJ rusé·e :
- Contexte historique fort : on peut ancrer les intrigues dans des périodes précises (Révolution, guerre de Sécession, Londres de Holmes…).
- Dracula en PNJ (ou PJ exceptionnel), figure ambiguë, entre manipulateur et protecteur.
- Système de jeu recommandé :
- Basic Roleplaying ou Cthulhu V7 pour l’ancrage historique.
- Château Falkenstein pour l’ambiance feuilleton noble/ésotérique.
- Vaesen, The Between, ou même Brindlewood Bay pour le côté surnaturel discret.
- Night’s Black Agents pour une transposition moderne et conspirationniste.
- Pistes de scénario :
- Les PJ sont des descendants d’un des protagonistes du roman de Stoker, traqués par le comte… ou aidés par lui.
- Holmes a disparu après avoir découvert un secret vampirique en 1891 : à vous de le retrouver.
- Un artefact de Vlad Tepes refait surface à Bucarest en 1978 : Dracula le veut, mais vous aussi.
En résumé
Fred Saberhagen a offert à Dracula ce que peu d’auteurs ont osé : une voix propre, une morale, un destin. Et ses romans, injustement oubliés, méritent d’être relus aujourd’hui, surtout par les rôlistes. Il n’y a pas de jeu de rôle officiel tiré de cette série ? Tant mieux. On a tout ce qu’il faut pour le créer nous-mêmes.


Commentaires
2 réponses à “Fred Saberhagen : Dracula, version auteur”
Tiens, le site a changé !
Oui, tout cela est diablement juste.
Dracula, ce seigneur sombre, soulève des dilemmes délicieux.
Le jouer en jeu de rôle, c’est plonger dans une psyché profonde, sans forcément multiplier les vampires, les clans, les Camarillas.
Merci pour ce rappel romanesque : vos mots réveillent des souvenirs enfouis.
Intéressant, je ne connaissais pas du tout M. Saberhagen. Je vais chercher ses livres en anglais !