Severiano de Heredia, ou le sortilège de l’oubli

Dans le grand livre des personnages historiques qu’on n’étudie pas assez à l’école, Severiano de Heredia tient une place de choix. Un homme politique noir, républicain, franc-maçon, d’origine cubaine, qui devint président du Conseil municipal de Paris en 1879 (l’équivalent de maire), puis ministre des Travaux publics.

severiano de heredia

le fantôme de la République

Dans le grand livre des personnages historiques qu’on n’étudie pas assez à l’école, Severiano de Heredia tient une place de choix. Un homme politique noir, républicain, franc-maçon, d’origine cubaine, qui devint président du Conseil municipal de Paris en 1879 (l’équivalent de maire), puis ministre des Travaux publics.

Et pourtant, il a fallu attendre 2015 pour qu’une rue porte son nom à Paris. Allons donc fouiller un peu dans cette mémoire occultée… et pourquoi pas dans quelques grimoires. Peut-être qu’au détour d’une loge maçonnique ou d’un cercle spirite, son nom y sommeille encore, en lettres d’argent. Peut-être même que l’histoire l’a mis sous cloche par peur de ce qu’il révélait : un autre visage de la République, plus cosmopolite, plus engagé, et plus dangereux pour l’ordre établi.

Severiano de Heredia
Severiano de Heredia

Le parcours : d’élite créole à républicain français

Né à La Havane en 1836, dans une famille de libres de couleur, Severiano de Heredia est confié très jeune à un parent influent (probablement son parrain Ignacio Heredia, voire son père biologique) et envoyé en France pour y recevoir une éducation prestigieuse. Il se forme au lycée Louis-le-Grand, remporte un prix d’honneur en rhétorique, et devient un intellectuel admiré. En 1866, il est reçu dans la franc-maçonnerie, intégrant les cercles d’influence républicains et progressistes.

Severiano de Heredia

Naturalisation obtenue en 1870, il s’engage activement en politique. Élu conseiller municipal en 1873, il accède en 1879 à la présidence du Conseil municipal de Paris, devenant de fait le premier homme noir à diriger une grande capitale occidentale. En 1881, il est député de Paris, et en 1887, il intègre le gouvernement Rouvier comme ministre des Travaux publics. Il y supervise notamment le lancement du chantier de la tour Eiffel et d’importants travaux de modernisation.

Farouchement républicain, il plaide pour la gratuité de l’école, la laïcité, la réglementation du travail des enfants, et la diffusion du savoir. Son style est courtois, son verbe précis, mais son engagement dérange. Lors de l’Exposition coloniale de 1886, les attaques racistes se déchaînent : il est traité de « ministre chocolat » par une presse réactionnaire. La méchanceté des mots en dit long sur l’époque, et sur ce qu’elle ne supporte pas : un homme noir à un poste de pouvoir.

Progressivement marginalisé, Heredia ne se représente pas en 1889. Il s’éloigne de la vie politique, consacre ses dernières années à l’écriture, et meurt à Paris en 1901. Aucune trace durable dans l’espace public n’évoque alors son existence. Pendant plus d’un siècle, son nom disparaît des manuels, des discours officiels, des commémorations. Un oubli qui n’a rien d’accidentel.


Severiano de Heredia

Mémoire effacée : un symptôme national

Pourquoi cet oubli ? Parce qu’Heredia était, au fond, trop moderne. Trop républicain, trop noir, trop anticolonialiste, trop féministe, trop libre penseur. Parce que sa présence remettait en cause l’image d’une République blanche, centralisée, virile et paternaliste.

Il est loin d’être un cas isolé. De nombreuses femmes scientifiques, artistes noirs, syndicalistes, penseurs décoloniaux ont vu leur mémoire soigneusement dépolie. La Troisième République a bâti un récit officiel édulcoré, qui ne laissait que peu de place à ses marges créatrices. L’école de la République, paradoxalement, n’a pas transmis les figures les plus émancipatrices de son histoire.

Depuis quelques années seulement, des collectifs, historiens et médias s’emploient à réhabiliter cette mémoire. En 2015, une rue de Paris prend enfin son nom, dans le 17e arrondissement, près des Batignolles. Mais combien de jeunes aujourd’hui savent qui il était ? Combien de jeux, de films, de romans ont utilisé son histoire ? Trop peu.

Severiano de Heredia

Et c’est ici que le jeu de rôle entre en scène : car sur une table, on peut faire justice autrement. On peut redonner à ces figures invisibles leur pleine puissance narrative, politique et mythologique.


Inspirations pour du jeu de rôle

Severiano de Heredia

Château Falkenstein (1870, uchronie impériale)

Dans l’univers magique et steampunk de Château Falkenstein, Heredia devient un personnage fascinant. Jeune noble créole, il pourrait être un ambassadeur des colonies, revenu d’un long périple dans les régions féériques des Antilles. Franc-maçon, penseur progressiste, il propose une réforme de l’usage de la magie au service des peuples, contre la domination des sorciers aristocrates européens.

Il peut être un allié puissant, un mentor pour les PJ, voire un catalyseur d’une révolte magique. Il manipule les arcanes anciennes de l’Atlantide caraïbe, parle aux sylphes, discute avec des dryades caféières. Il tente de convaincre Napoléon III de reconnaître les peuples féériques comme citoyens de l’Empire. Ses ennemis ? Un cercle de technocrates occultistes prussiens, ou les résidus alchimiques du Premier Empire…

Nephilim (Incarnation et savoirs occultes)

Heredia comme Nephilim ? Voilà une idée qui mérite d’être explorée. Incarné depuis l’Antiquité, il aurait vécu dans les temples d’Égypte, les bibliothèques d’Al-Andalus, avant de renaître à La Havane. Son Ka-Elément serait sans doute l’Air (avec la Lune en secondaire) : porteur de souffle, de liberté, d’inspiration.

Dans la France des années 1880, il traque les Arcanes infiltrés dans les ministères et les congrégations. Il connaît le secret du Ve scellé parisien. Il initie les PJ à des rites oubliés et à la géographie occulte de la capitale. Il conserve dans son cabinet un talisman précolombien qui murmure aux heures creuses.

Ses aliées ? Des loges spirites métissées, des bibliothèques ambulantes, des anarchistes théosophiques. Ses opposants ? Les classiques Templiers, et autres fanatiques, peut-être même d’autres Nephilim soucieux de rester dans l’ombre.

Maléfices (France Belle-Époque)

Dans Maléfices, Heredia devient le centre d’une campagne mystérieuse. Il est un homme public, mais il cache quelque chose. Une malédiction familiale ? Une dette envers un esprit du cimetière Montmartre ? Un pacte maçonnique qui a mal tourné ?

Les joueurs sont mêlés à une affaire de disparitions autour de la tour Eiffel. Des enfants ouvriers voient des ombres dans les fondations. Heredia intervient, veut faire la lumière, mais des forces veulent le faire taire. S’agit-il d’un complot colonial ? D’une entité surgie d’un rituel brisé ? D’une conspiration catholique ?

Tout est possible, et Heredia peut être un pôle dramatique fort : mentor, victime, complice involontaire, ou héros tragique.


Conclusion : Heredia, entre vérité et légende

Le destin de Severiano de Heredia est un appel à raconter autrement. Son existence historique est déjà un roman. Mais ce roman peut devenir une fresque épique, un scénario foisonnant, une quête de justice et de mémoire.

Et si l’oubli était un sortilège ? Et si chaque nom effacé de nos rues était un sceau qu’il faut briser ? Dans nos parties de jeu de rôle, nous avons ce pouvoir : faire revivre, réinventer, et transmettre.

Severiano de Heredia mérite de passer du silence à la parole, du manuel de référence à la table de jeu. Car, là où l’histoire a manqué, l’imaginaire peut réparer.



Commentaires

2 réponses à “Severiano de Heredia, ou le sortilège de l’oubli”

  1. Avatar de Stephen Sevenair

    Qui d’autre ?

    1. Avatar de scriiiptor

      Pas certain d’avoir compris la question.
      Si la question est, il y a t il d’autres personnages historiques ? Oui.
      On en avait déjà causé un peu ici https://scriiipt.com/2025/07/reecrire-lhistoire-representations-effacements-et-choix-narratifs/

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