Chronique asociale et artisanale du collectif (ou presque)
Pourquoi publier encore ?
Pourquoi publier ? Pourquoi sâimposer un rythme ? Pourquoi nourrir la grande machine numĂ©rique qui bouffe tout et recrache des contenus formatĂ©s, vides, pensĂ©s pour des algorithmes ?
Peut-ĂȘtre quâon ne le sait pas vraiment. Peut-ĂȘtre que câest juste une envie qui traĂźne. Une envie de dire des choses sans en attendre trop. Une envie de laisser des traces, comme on lancerait des bouteilles Ă la mer. Mais des bouteilles en papier. Ou en PDF. Ou mĂȘme juste un lien oubliĂ© au dĂ©tour dâun post, Ă moitiĂ© cassĂ©, mais qui clignote encore. Un message qui se perd mais qui persiste, mĂȘme briĂšvement.
On pourrait se demander pourquoi on se lance dans un truc qui ne cherche ni la visibilitĂ©, ni lâadhĂ©sion massive, ni mĂȘme la reconnaissance. Pourquoi on parle encore de fanzines, de lettres, dâartisans du web, en 2025. Pourquoi choisir lâobscuritĂ© plutĂŽt que la lumiĂšre crue des tendances. Pourquoi prĂ©fĂ©rer la marge au centre, le discret au viral, le temps long Ă lâinstantanĂ©.
Parce quâon Ă©touffe
Parce quâon a trop vu ce que ça donnait, le web en version « optimisĂ©e ». Les sites pensĂ©s pour le SEO, les articles construits pour Google, les posts calibrĂ©s pour les algorithmes sociaux. Ce nâest pas quâon mĂ©prise ça (enfin, un peu quand mĂȘme). Câest juste quâon en a marre. On Ă©touffe. Câest un monde oĂč chaque clic est traquĂ©, chaque mot analysĂ©, chaque silence interprĂ©tĂ© comme un Ă©chec de publication.
On ne veut plus jouer ce jeu-lĂ . On nâa pas envie dâentrer dans cette logique de rendement numĂ©rique, de performance Ă©ditoriale, de storytelling calculĂ©. Ce nâest pas notre langage. Ce nâest pas notre terrain.
On aime les marges
On est peut-ĂȘtre asociaux. Pas dans le sens « on nâaime pas les gens » (enfin, peut-ĂȘtre un peu pour certains), mais dans le sens oĂč on prĂ©fĂšre choisir quand et comment on entre en relation. On aime jouer ensemble, mais dans un cadre, Ă notre table, avec nos horaires, notre ambiance. Pas dans lâagitation permanente des fils dâactualitĂ©. Pas dans les notifications en cascade et les rĂ©actions en emoji. Pas dans les stories qui disparaissent au bout de vingt-quatre heures, et qui nâen gardent aucune mĂ©moire.
On aime les silences entre les messages. Les discussions lentes. Les courriers quâon relit. Les trucs pas instantanĂ©s, pas faits pour buzzer. On aime la sensation de poster quelque chose sans attendre de retour immĂ©diat, ni de validation. On aime le luxe de lâinutilitĂ© assumĂ©e. On aime les marges, les espaces flous, les brouillons non terminĂ©s. On aime aussi les choses quâon fait juste pour nous, pour le plaisir de les faire, pour les voir exister sans devoir les justifier.
La Correspondance SecrĂšte
Alors on lance La Correspondance SecrÚte de Scriiipt. Pas une newsletter. Pas une infolettre corporate. Une lettre. Un message irrégulier. Un souffle qui passe ou ne passe pas.
Câest artisanal, bricolĂ©, limitĂ© par les outils quâon utilise (MailPoet, version gratuite). 500 abonné·es maximum. Et câest trĂšs bien ainsi. Ce chiffre nous rassure. Il pose une limite douce. Il dit : « pas plus que ça ». Et on trouve ça beau. On nâa pas envie de grandir, ni de croĂźtre, ni de nous structurer. On veut rester dans cette zone incertaine oĂč tout est encore possible, mais rien nâest obligatoire.
Ce nâest pas une stratĂ©gie. Ce nâest pas un canal de communication (mĂȘme si un peu peut-ĂȘtre). Ce nâest mĂȘme pas un projet bien dĂ©fini. Câest une envie. Une envie de faire autrement. De publier comme on jouerait une campagne : sans savoir oĂč ça nous mĂšne, mais avec envie, sincĂ©ritĂ©, et un goĂ»t certain pour les dĂ©tours. On aime les chemins de traverse, les plans griffonnĂ©s sur des bouts de papiers, les idĂ©es qui nâont pas de pitch. On aime les introductions trop longues, les paragraphes qui dĂ©rivent, les articles qui ne concluent rien. On aime les textes qui doutent. Et les silences qui les accompagnent.
Une présence flottante
On se dit parfois quâon pourrait arrĂȘter. Quâon sâen fout. Que tout ce quâon publie est lu par trois personnes et un bot russe. Et puis on se dit que câest dâaccord. Que ça suffit. Que câest dĂ©jĂ beaucoup. Si quelquâun lit, tant mieux. Si personne ne lit, ce nâest pas grave. Ce nâest pas une perte. Câest juste un signal Ă©mis dans le noir. Un acte gratuit. Un geste sincĂšre. Un acte de rĂ©sistance minuscule. Un rappel que tout nâest pas Ă©changeable, vendable, partageable Ă lâinfini. Il existe encore des gestes qui ne servent quâĂ exister.
Et oui, il y aura des trucs pas trĂšs SEO-friendly. Des textes bizarres. Des images quâon nâose pas toujours publier. Des inspirations borderline. Du grindhouse, du giallo, du fumetti nero, du Russ Meyer, du NSFW discret, du rĂŽliste en slip, des critiques de systĂšmes, des coups de gueule et des coups de cĆurs, des Ă©lans absurdes. Des tentatives ratĂ©es. Des trucs trop longs. Des listes bancales. Des jeux de mots douteux. Des clins dâĆil cryptĂ©s que personne ne relĂšvera. Peut-ĂȘtre mĂȘme du silence, parfois. Car on assume aussi les moments sans message. Les trous dans la narration. Les semaines oĂč rien ne se passe. Et câest aussi ça qui compte.
Rien de durable, tout de sincĂšre
Peut-ĂȘtre quâon disparaĂźtra. Peut-ĂȘtre quâon y reviendra par vagues. Peut-ĂȘtre que ce nâĂ©tait quâun prĂ©texte pour Ă©crire une fois, puis sâen aller. Peut-ĂȘtre que ça vivra. Ou pas. Ce nâest pas une promesse. Câest une possibilitĂ©. Une ouverture. Une Ă©chappĂ©e. Une respiration. Une suspension volontaire dans un flot qui ne sâarrĂȘte jamais. Un refus poli, mais tĂȘtu, de faire comme il faut.
Ce nâest pas grave. Ce nâest pas pour durer. Câest pour vivre. Câest pour ressentir, une seconde, quâon nâest pas obligĂ© de faire comme on nous dit de faire. Câest pour souffler un peu. Pour prendre la tangente. Pour se rĂ©approprier des gestes simples : Ă©crire, envoyer, partager, et ne rien attendre.
Ce nâest pas pour tout le monde. Et câest trĂšs bien comme ça.
SignĂ© : quelquâun. Ou plusieurs. Peut-ĂȘtre un collectif. Peut-ĂȘtre une humeur.
Le nom importe peu. Le geste, si.
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22 rĂ©ponses Ă “Jouer ensemble, fuir le monde”