Agnès Souret : beauté nationale, oubli international

On dit souvent que le XXe siècle a été celui de la vitesse : vitesse de l’image, des révolutions, des guerres… et de l’oubli. Prenez Agnès Souret. Première Miss France en 1920, égérie éphémère d’une République post-boucherie de 14-18 en mal d’icônes, elle incarne un idéal féminin aussitôt couronné, aussitôt sacrifié. Le visage d’un pays…

agnes souret

On dit souvent que le XXe siècle a été celui de la vitesse : vitesse de l’image, des révolutions, des guerres… et de l’oubli. Prenez Agnès Souret. Première Miss France en 1920, égérie éphémère d’une République post-boucherie de 14-18 en mal d’icônes, elle incarne un idéal féminin aussitôt couronné, aussitôt sacrifié. Le visage d’un pays en quête de légèreté, puis le souvenir d’une fille pour laquelle une mère a tout vendu, jusqu’à la maison, pour lui offrir une dernière demeure.


1920 : la France élit un visage

En cette fin d’année 1920, Le Journal, quotidien populaire de l’époque, organise un concours inédit : « La plus belle femme de France ». 1 700 candidates, votées par correspondance. Le suffrage universel version patriarcale.

Agnès Souret

La gagnante s’appelle Agnès Souret. Elle a 17 ans, est née à Bayonne, vit à Espelette, et rêve de scène. Sa mère est une ancienne danseuse de ballet, son père a disparu du récit. Elle pose avec des robes en dentelle, les photographes s’arrachent son sourire. La presse, enthousiaste, ne se doute pas qu’elle vient de créer un monstre : la future Miss France S.A.

Agnès Souret

Du Mont Saint-Michel aux Folies Bergère

Agnès Souret, un personnage de jeu de rôle en puissance

Contrairement à l’image d’icône passive qu’on pourrait projeter sur elle, Agnès Souret tente activement de faire carrière dans le monde du spectacle. Son premier rôle au cinéma (le seul) ? Le Lys du Mont Saint-Michel, un film muet de Henry Houry. Le film connaît un petit succès critique, sans lancer de grande carrière. Les portes du cinéma ne s’ouvrent pas durablement.

Le Lys du Mont Saint-Michel (1920) Henry Houry, J. Sheffer
Le Lys du Mont Saint-Michel (1920) Henry Houry, J. Sheffer

Elle travaille ensuite comme modiste chez Madeleine et Madeleine — la mode avant la scène, les chapeaux avant les caméras. Puis, comme sa mère avant elle, elle devient danseuse. Non pas à l’Opéra de Paris, mais à l’Opéra de Monte-Carlo, où elle intègre le corps de ballet. Elle monte ensuite sur les planches des Folies Bergère à Paris, temple du music-hall et de la revue. Pas une star du muet, donc, mais une artiste professionnelle, enchaînant tournées et représentations.

Entre deux dates, elle revient à Espelette. Elle y renomme la maison familiale « Ederrena« , ce qui signifie « la plus belle » en basque. Geste d’amour, d’orgueil, ou pied de nez au destin ? Peut-être les trois.


Argentine, dernier acte

C’est à l’autre bout du monde que sa trajectoire s’interrompt brutalement. En 1928, Agnès Souret part en tournée en Argentine. Elle y meurt d’une péritonite, à seulement 26 ans.

Sa mère, incapable de laisser sa fille à l’autre bout du monde, vend tout ce qu’elle possède — y compris la maison Ederrena — pour faire rapatrier son corps. Agnès est enterrée à Espelette, sous un médaillon sculpté par Lucien Danglade, dans un caveau modeste mais digne.

Un demi-siècle de silence suit. Pas de mémoire nationale. Pas de Miss France honorée à titre posthume. Juste une pierre, un nom, et l’oubli.


Une mémoire reconstruite, un siècle plus tard

Il faudra attendre les années 2000 pour que la tombe soit inscrite aux monuments historiques. Et 2023 pour qu’un guide-conférencier du Pays basque, Jérôme Zapata, s’engage pour sa restauration et sa réhabilitation.

Ce regain d’intérêt n’est pas anodin. En redonnant un visage à Agnès Souret, on interroge aussi les mécanismes de la célébrité féminine : une mise en vitrine sans filet de sécurité. Une esthétisation sans reconnaissance durable. Agnès Souret n’est pas qu’un nom de concours ; elle est le témoin silencieux de ce que le divertissement peut faire aux femmes : les exhiber, puis les abandonner.


Agnès Souret, un personnage de jeu de rôle en puissance

Les rôlistes ont un goût certain pour les personnages troubles, les destinées brisées, les figures oubliées à qui l’on redonne voix et profondeur. Agnès Souret, avec son destin romanesque, est un terreau fertile pour l’imaginaire :

Une muse ou une revenante ? Dans un JdR fantastique, Agnès peut devenir une figure spectrale. Une muse oubliée, hantant les coulisses d’un théâtre décadent ou d’un cabaret aux clients trop influents. Les PJ enquêtent sur une série de morts étranges, toutes reliées à un ancien concours de beauté maudit.

Une intrigue dans les Années folles : En mode historical noir, Agnès peut apparaître comme une connaissance d’un PNJ, ou même une célébrité croisée à Monte-Carlo. La jouer elle-même, avec ses espoirs et ses doutes, serait un défi narratif passionnant dans un jeu comme L’Appel de Cthulhu.

Une divinité urbaine : Dans un jeu onirique ou mythologique contemporain (type Urban Shadows ou Invisible Sun), elle pourrait être l’incarnation d’un archétype : « la beauté oubliée », vénérée par les marginaux, errant dans les rêves des esthètes maudits.

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Une beauté politique

La trajectoire d’Agnès Souret n’est pas seulement triste ou romanesque. Elle est politique. Elle éclaire, en creux, la manière dont une société consomme ses figures féminines : admiration, projection, puis silence. Que reste-t-il, un siècle plus tard ? Une tombe restaurée, quelques articles, une photo sépia.

Mais aussi, pour qui veut bien la voir, un personnage puissant à faire revivre à travers le jeu, l’écriture, la fiction. Une beauté qui, loin d’être décorative, devient actrice. Enfin.



Commentaires

Une réponse à “Agnès Souret : beauté nationale, oubli international”

  1. Avatar de Stephen Sevenair

    Agnès Souret, superbe !
    Avec vous je découvre toujours des personnages féminin haut en couleur.
    Merci.
    Je vais chercher comment l’intégrer dans Ichthus, jeu de rôle de premiers chrétiens sous Néron. Aucune raison qu’une telle femme, une telle personne n’est pas existé.

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