Suite de notre dossier sur les « orcs ».
- Les orcs sont-ils vraiment méchants ? Une réflexion sur les monstres, le manichéisme et nos récits
- a) – Les orcs, dès leurs origines, ne seraient-ils pas simplement une projection de l’ « Autre » qu’il faut combattre pour affirmer son identité ?
- b) – Les orcs de Tolkien sont-ils des monstres ou les victimes d’un système corrompu ?
- c) – Pourquoi le concept de races « mauvaises » a-t-il longtemps persisté dans les jeux de rôle ?
- d) – Repenser les orcs, c’est enrichir nos récits tout en offrant de nouveaux défis narratifs et éthiques.
Depuis les premiers jeux de rôle (JDR), l’idée de races « mauvaises » a été omniprésente, fortement influencée par la fantasy classique. Cette représentation, bien qu’efficace pour structurer des récits simples, reflète une vision souvent caricaturale et soulève de nombreuses questions sur ses origines, son rôle ludique et les critiques qu’elle suscite aujourd’hui.
L’héritage de la fantasy classique
L’influence de Tolkien
Dans Le Seigneur des Anneaux, les orcs, gobelins et trolls sont décrits comme intrinsèquement mauvais, des créatures dénaturées par des forces obscures. Ces figures, devenues emblématiques, ont profondément marqué des jeux comme Donjons & Dragons, où ces ennemis servent de cibles faciles pour les héros. Toutefois, chez Tolkien, les orcs ne sont pas uniquement des figures du mal. Ils sont également les victimes d’un système corrompu, forcés de servir des maîtres cruels sans espoir d’échapper à leur condition. Cette nuance, souvent oubliée dans les adaptations ludiques, renforce la simplification manichéenne des conflits.

Cette approche narrée par Tolkien a toutefois permis aux jeux de rôle de se construire autour d’une opposition claire entre le bien et le mal, facilitant ainsi la création de scénarios directs et immersifs.
Une question de facilité
Simplifier les scénarios
Les premières éditions de Donjons & Dragons reposaient sur des mécaniques simples : combattre des monstres, collecter des trésors, gagner de l’expérience. Classer des races entières comme « mauvaises » permettait de justifier les affrontements sans réflexion morale complexe. Les joueurs pouvaient ainsi se concentrer sur l’action et l’exploration de donjons.

Cependant, cette approche limitait les possibilités narratives. En réduisant des peuples à des caricatures homogènes, elle excluait toute exploration de leur diversité culturelle ou politique.
Une gratification rapide
Détruire des créatures « mauvaises » offrait une satisfaction immédiate, renforçant le sentiment d’accomplissement chez les joueurs. Ce système, conçu pour des parties rapides et immersives, s’inscrivait dans une époque où la complexité narrative était souvent secondaire par rapport au plaisir de jeu direct.
Les parallèles historiques
L’Autre comme menace
La représentation des races « mauvaises » dans les JDR trouve des échos dans des stéréotypes historiques. L’Autre – souvent perçu comme barbare ou sauvage – a été diabolisé pour justifier des actes de conquête ou de domination. Les orcs, par exemple, rappellent parfois des descriptions colonialistes de peuples indigènes, souvent réduits à des caractéristiques brutales ou primitives.

Une vision figée
En dépeignant des groupes comme immuablement « mauvais« , les premiers JDR limitaient la diversité et la profondeur des récits. Cette vision figée empêchait d’explorer des cultures complexes et des motivations nuancées, renforçant une approche simpliste des conflits.
Des évolutions récentes
Repenser les orcs et autres races
Avec le temps, des critiques ont poussé les créateurs à nuancer leurs représentations. Dans les éditions modernes de D&D ou dans des jeux comme Shadowrun, les orcs et autres « races marginalisées » ne sont plus cantonnés à des alignements fixes. Ils peuvent être des personnages joueurs ou des alliés, avec leurs propres motivations et histoires.

Cette évolution reflète une prise de conscience plus large dans la fiction : l’importance d’éviter les stéréotypes rigides et de présenter des récits plus diversifiés.
Enrichir les histoires
Des jeux comme Symbaroum ou Burning Wheel favorisent des conflits plus complexes, où les tensions culturelles et politiques remplacent les affrontements binaires. Les orcs deviennent des peuples avec des traditions et des ambitions propres, permettant de créer des intrigues plus profondes et réflexives.
Le rôle des joueurs et des MJ
Sortir des sentiers battus
Les meneurs de jeu et les joueurs jouent un rôle essentiel dans la façon dont les récits évoluent. Rien n’empêche un MJ de présenter une tribu orque comme un peuple cherchant à s’adapter ou à survivre, plutôt que comme une simple menace.
Introduire des dilemmes
Remettre en question l’idée de races « mauvaises » ouvre la porte à des dilemmes éthiques. Par exemple, les joueurs pourraient découvrir qu’un campement orque abrite des familles réfugiées d’un conflit. Ces situations ajoutent de la profondeur aux choix et encouragent la réflexion.
Une fantasy plus nuancée
Abandonner le concept de races « mauvaises » permet de créer des univers plus crédibles. Les tensions deviennent des luttes de valeurs ou des rivalités culturelles, où chaque camp a ses raisons propres. Ces récits offrent des thématiques plus profondes, enrichissant l’expérience de jeu.
Plutôt que de vaincre des orcs, les joueurs pourraient apprendre à comprendre leurs motivations, ouvrant la voie à des conflits plus subtils et à des alliances inattendues. Car au fond, la question n’est peut-être pas « qui est l’ennemi ?« , mais « comment pouvons-nous voir au-delà ?«
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