L’hiver est une saison de paradoxes : les célébrations tentent d’éloigner les ténèbres, mais les ombres ne sont jamais aussi présentes que lorsque la neige blanchit la terre. Depuis des siècles, des masques et des déguisements, souvent grotesques, sont portés dans les froides nuits de décembre ou lors des premiers jours d’hiver. Ces fêtes, à la fois jubilatoires et protectrices, visaient à tromper ou effrayer les mauvais esprits qui profitaient de l’affaiblissement de la lumière pour se glisser dans le monde des vivants.
Les masques pour conjurer les esprits : un voyage dans le temps
L’idée d’utiliser des masques et des déguisements pour effrayer ou apaiser les esprits malveillants remonte à des traditions ancestrales qui, bien que diverses, partagent un même thème : les humains tentent de rétablir l’ordre face au chaos hivernal.
Les Krampusläufe : En Europe centrale, notamment en Autriche et en Allemagne, les fêtes des Krampus voient des individus se grimer en créatures monstrueuses. Les Krampus, compagnons infernaux de Saint-Nicolas, pénètrent dans les villages pour punir les enfants désobéissants. Cette tradition grotesque, à mi-chemin entre une farce et une frayeur bien réelle, date de plusieurs siècles.
La Pércht autrichienne : En Haute-Autriche et en Bavière, la Pércht, entité mi-divine mi-démoniaque, est liée aux douze nuits entre Noël et l’Épiphanie. Les villageois, portant des masques hideux, s’adonnaient à des processions destinées à éloigner les esprits de la Pércht qui, disait-on, visitaient les foyers pour juger les habitants.
Les mummers et autres mascarades : En Angleterre et en Irlande, les mascarades hivernales (comme celles des Mummers) voyaient des groupes de villageois costumés passer de maison en maison pour jouer des scènes rituelles et collecter de la nourriture ou de la bière. Ces traditions, bien qu’apparemment ludiques, cachaient souvent un aspect protecteur : le masque détournait les regards des esprits malveillants.
Ces coutumes, à travers le décor de masques grotesques et de danses chaotiques, ne relèvent pas seulement du folklore—elles incarnent une réponse humaine face à l’inconnu, face à l’hiver, qui, dans sa brutalité, évoque toujours le chaos primordial.
Toile de fond pour un JDR : Le Carnaval des âmes perdues
Dans un village recroquevillé au fond d’une vallée oubliée par les cartes, l’hiver est marqué par une tradition ancienne : le Carnaval des Masques. Chaque 18 décembre, les habitants se déguisent, revêtent des masques grotesques, et paradent dans les rues enneigées pour éloigner « ceux qui marchent entre les ombres ». Les plus vieux murmurent que cette coutume remonte à des temps si anciens que même les pierres en ont oublié la raison.
La tradition : un rituel qui emprisonne
Le Carnaval, tout en étant une fête, est aussi un rite obligatoire. « Si nous ne le faisons pas, les ombres viendront », disent les anciens. Chaque masque est confectionné avec soin, censé incarner la caricature d’un démon ou d’une bête pour le tromper. Les villageois marchent en procession jusqu’à un immense bûcher au centre de la place, où ils dansent et chantent pour clore la cérémonie.
Mais la vérité est bien plus sinistre. Ce rituel n’éloigne pas les démons—il les nourrit. Chaque année, un drame survient : un enfant qui disparaît, un villageois qui perd l’esprit ou une maison ravagée par un incendie sans cause apparente. Pourtant, personne ne remet en question le Carnaval, persuadé que le non-respect de la tradition provoquerait un mal bien pire.
Toile de fond pour le jeu
Les PJ arrivent dans ce village recouvert de neige à l’approche du Carnaval. Voici quelques éléments pour poser une ambiance glaçante et laisser les joueurs naviguer entre mystère, paranoïa et horreur :
L’arrivée dans le village : Le froid est mordant, et les rues sont étrangement silencieuses. Les villageois, tout en polissant leurs masques, observent les étrangers avec méfiance.
Les étranges avertissements : Certains villageois supplient les PJ de quitter le village avant le Carnaval. D’autres les mettent en garde : « Respectez la tradition, sinon… »
Le début du Carnaval : Les joueurs assistent à la procession : une ambiance entre la fête grotesque et la cérémonie funèbre. Les enfants, trop jeunes pour porter des masques, restent cloîtrés, les yeux pleins de terreur.
La perturbation : Des figures apparaissent parmi les masques—plus grandes, plus sombres, leurs yeux rougeoyant sous la lune. Des cris éclatent. Le Carnaval tourne au chaos.
Le choix final : Les joueurs comprennent que la tradition est un leurre. Elle ne peut être interrompue que si tout le village, dans un élan unanime, tourne le dos aux rituels… Mais convaincre des gens terrifiés depuis des générations est un exploit en soi
Ambiance et inspirations
- Ambiance glaçante : Des rues silencieuses, le crépitement lointain d’un bûcher, et des masques dont les yeux semblent suivre les PJ.
- Horreur subtile et fataliste : Le vrai mal est dans la tradition elle-même, un cycle perpétuel qui condamne les habitants.
- Inspirations : The Wicker Man pour le rituel inéluctable, The Village pour la méfiance des habitants, et The Ritual pour les entités tapies dans l’ombre.
Danse avec les ombres
La fête des masques est une célébration de l’humanité face à ses peurs les plus primitives—une tentative de donner forme aux ombres pour mieux les éloigner. Mais parfois, ces ombres prennent vie. Dans ce village maudit, la tradition est une prison, et les masques ne protègent que ceux qui refusent de voir la vérité. Alors, la prochaine fois que vous enfilerez un masque, demandez-vous : qui trompez-vous vraiment ?
Commentaires
5 réponses à “La fête des masques : Rituels d’hiver et démons cachés”
Est-ce que le KKK n’aurait pas trouvé là son inspiration ?
Pas vraiment, mais peut etre… Pour le premier Klan, il s’agissait de se déguiser en fantômes pour faire peur (draps et taies d’oreillers sur la tête en guise de cagoule)… Ce n’est que plus tard que ça a copié les processions catholiques. Les deux n’ont rien a voir et cela a porté préjudice aux processionnaires, encore aujourd’hui des gens confondent.
Mais oui pour le côté »fantôme de Noël » parce que le Klan voudrait faire remonter sa création au 24 ou 25 décembre 1865.
Sir yes Sir !
On retrouve ce genre de fête, rituel, dans une grande partie de l’est de l’Europe, comme en Bulgarie, Hongrie, les Balkans, jusqu’en Grèce et Anatolie.
Ce sont des fêtes très anciennes de l’antiquité (voir antérieur?) d’origine païenne qui se déroule à la fin de la saison froide (souvent début février, mais aussi en janvier, voir pour le nouvel an), elles ont pour but de chasser les mauvais esprits, les ombres et de brûler l’hiver lors d’un grand feu qui clôture souvent la célébration.
Sur la première photo ce sont des masques en bois peint de rouge et entourés de peau de chèvre le plus souvent (ou de mouton), ils sont portés lors du Busójárás, en Hongrie.
En Bulgarie, les porteurs de ces masques, souvent artisanaux et réalisés par leurs soins, s’accompagnent de peaux de chèvre généralement, mais certains sont ornés de plume. Le déguisement s’accompagne de ceinture de cloches pour effrayer les mauvais esprits (D’ailleurs on retrouve ce même genre de ceinture de cloche dans les traditions chamaniques du Népal. Hasard? ). On les appelle Kukeri ou koukéri.
Les couleurs ont aussi leurs symboliques car le rouge représente le feu, le renouveau, le blanc, la lumière, et le noir la terre pour les semences, la fertilité, l’abondance,…
On retrouve là des similitudes avec la fête d’halloween car les kukeri font le tour des maisons pour formuler des vœux de prospérité en échange de « cadeau » sous forme de nourriture, offrande? (abricot, œuf, farine,… )
Les festivités continuent avec un rituel pour ensemencer la terre (fin d’hiver, début du printemps, symbole de renouveau mais aussi de renaissance) faisant intervenir un roi qui est sacrifié et renait.
Enfin, quand j’entend les mots, « fête », « carnaval », « masque » et « roi »…. je pense de suite au Roi en Jaune…
Allez je vous laisse imaginer la suite 😉
Oui, en effet pour l’image de l’article c’est bien des masques du Busojaras.
Il y aurait de quoi faire encore pleins d’articles sur le sujet. Et qui sait d’ailleurs si on n’en fera pas un numéro spécial de la Gazette Blindée ou si on ne ressortirait pas notre eZine.
Merci merci encore pour toutes ces sources.