Si vous ne l’avez pas encore, nous vous recommandons les très intéressant et très agréable scénario pour Château Falkenstein : « Carabines et Margarine« . L’action du scénario se situe à Paris en 1874 (ou à peu près). Et c’est dans cet ouvrage que l’on va constater à quel point l’histoire de la France en Nouvelle-Europe diffère de l’Histoire réelle.
En effet, la guerre franco-prussienne de 1870 n’ayant pas eu lieu, la Commune n’a pas eu l’histoire qu’on lui connait.
Dans le scénario « Carabines et Margarine », la Commune de Paris dans l’univers de Château Falkenstein est décrite de manière significativement différente de celle de notre réalité historique. En raison de la bataille de Königssieg, qui a empêché le conflit franco-prussien et ainsi préservé le Second Empire, la situation à Paris a évolué de manière distincte.
La Commune dans « Carabines et Margarine »
Sans guerre franco-prussienne pour déstabiliser la France, le coup d’état de la Garde nationale n’a jamais eu lieu. En lieu et place de la Commune telle que connue historiquement, un mouvement révolutionnaire clandestin s’est organisé sous la forme de petites cellules. Ces groupes, inspirés par Louis Auguste Blanqui, ont mené une série d’attentats à la bombe en 1871, visant notamment des cibles gouvernementales.
Répression et Clandestinité :
Les autorités impériales ont réagi rapidement à ces actes de violence, procédant à l’arrestation et à l’exécution des principaux responsables, dont Blanqui. À la suite de cette répression, les membres restants du mouvement sont passés dans la clandestinité, formant ce qui est désormais connu sous le nom de la Commune. Contrairement à la Commune historique, qui avait établi un gouvernement local, cette version alternative est un groupe clandestin, socialiste et révolutionnaire, qui œuvre pour les droits des travailleurs et des plus pauvres sous la direction d’Eugène Varlin.
État des Lieux en 1874 :
En 1874, la Commune, bien que considérée comme illégale, continue d’exister et de défendre les droits des classes populaires. Cependant, elle est constamment sous surveillance et accusée de tous les maux par les classes supérieures et la presse. Les autorités impériales, cependant, se concentrent davantage sur d’autres menaces plus immédiates, laissant la Commune relativement tranquille tant qu’elle ne recourt pas à la violence.
Et donc nous voilà à faire de plus amples recherches…
Fort de ce constat, et naviguant à vue autour de quelques figures historiques connues, nous avons fini par trouver (assez rapidement d’ailleurs) le personnage de Marie Adélaïde Deraismes, dite Maria Deraismes, une féministe, oratrice et femme de lettres française. (Notez que les fiches ci-dessous prennent pour date de base 1870)
Maria Deraismes, une biographie volontairement incomplète
Maria Deraismes naît le 17 août 1828 à Paris. Issue d’une famille bourgeoise libérale, son père, commissaire en marchandise, est un voltairien anticlérical et sa mère, Anne Soleil, est l’héritière d’un oncle opticien développeur des phares lenticulaires.
Autodidacte, elle apprend à lire avec sa sœur ainée Anna, et se familiarise avec les écrivains de l’Antiquité grecque et latine, des Lumières, les Pères de l’Église, les religions orientales, les livres sacrés de l’Inde ou encore les philosophes allemands.
À 12 ans déjà, elle prononce des discours dans le kiosque du jardin familial puis rédige plusieurs pamphlets et pièces de théâtre qui sont présentées dans les salons bourgeois.
À ses débuts Maria se destine à devenir peintre comme son idole Rosa Bonheur. Elle reçoit d’abord des cours d’un élève du peintre d’histoire P. Delaroche puis, sa famille s’étant installée à Nice, de Ferrari, peintre en titre du roi de Piémont.
De retour à Paris après le décès de son père en 1852, Maria s’inscrit dans l’atelier pour femmes de Léon Cogniet, mais se tourne vers l’écriture.
Après la mort de leur mère en 1862 et le veuvage de l’aînée en 1865, Maria et Anna vivent ensemble au domicile familial et y tiennent un salon que fréquentent les personnalités de la démocratie libérale. Inscrite dans son siècle où les idées féministes prolifèrent et agitent la vie intellectuelle au même titre que les oppositions entre républicains et conservateurs, elle écrit dans Le Nain jaune et Le Grand Journal.
Sa culture et son éloquence lui donnent l’occasion de mettre en valeur ses talents d’oratrice, en 1866, lorsqu’elle accepte l’invitation de Léon Richer à la loge du Grand Orient de France (GODF) pour réagir à l’article misogyne « Les bas-bleus » de Barbey d’Aurevilly en donnant une conférence sur la morale qui rencontre un certain succès. Elle donne ensuite d’autres conférences sur des thèmes féministes.
En 1869, elle est la cofondatrice avec Paule Minck, Louise Michel et Léon Richer de la Société pour la revendication des droits civils des femmes puis, en 1870, toujours avec Léon Richer, de l’Association pour le droit des femmes, qu’elle préside.
Elle participe au journal Le Droit des femmes, fondé par Léon Richer, qui deviendra en 1870 L’Avenir des femmes. Avec lui, tout en fréquentant les milieux francs-maçons, elle entreprend de défendre la cause des femmes, qu’elle associe à son combat pour la laïcité.
En 1869 et 1870, elle soutient activement le groupe de Louise Michel, André Léo, Élisée Reclus visant à l’instauration d’une éducation pour les filles.
En 1874, avec Virginie Griess-Traut, militante fouriériste, pacifiste et féministe, Aline Valette, socialiste et féministe, Hubertine Auclert, elle crée la Société pour l’amélioration du sort de la femme.
Idéologie
Libre-penseuse, Maria Deraismes rejoint, comme telle, une loge maçonnique qui accepte d’accueillir une femme. Opposée à l’obscurantisme et à la misogynie de l’Église catholique, elle est anticléricale et s’engage résolument aux côtés de la franc-maçonnerie dans sa lutte contre la toute-puissance de l’Église romaine, qui propage la foi chrétienne, supposant et imposant la prééminence de l’homme sur la femme et retarde la reconnaissance des droits civils de la femme. En théoricienne du féminisme, elle révoque l’infériorisation de la femme théorisée par cette institution : « La rupture de la femme avec le dogme est un acte de délivrance, une œuvre de libération, une déclaration d’indépendance… Qui nous a avilies, abaissées, si ce n’est la foi religieuse ? ». Et elle ajoute : « nous répudions à la face de l’univers cette fable du péché originel, aussi absurde que monstrueuse. Il est temps que l’humanité soit libérée de cette malédiction légendaire, et qu’elle repousse comme une fable cette fatalité de malheur ! ».
Revendiquant la reconnaissance juridique des droits des femmes, elle concentre son action sur cet objectif. Elle ne juge pas la revendication du droit de vote secondaire, mais elle estime ce combat prématuré, desservant, par son échec, à ses yeux programmé, la cause des femmes. Lors du premier banquet féministe, organisé le 11 juillet 1870, elle lit un manifeste demandant aux parlementaires d’accorder aux femmes les droits civils et politiques.
Favorable à l’abolition de la prostitution, elle mène ce combat avec la féministe anglaise Josephine Butler. Alors régulée par l’État, la prostitution est, selon elle, une des manifestations de l’oppression masculine, de l’antagonisme entre hommes et femmes.
Mobilisée pour la laïcité « qui implante réellement l’amour du prochain », elle croit en la République, mais la lutte aux côtés des hommes républicains qui la soutiennent lui pose un problème, puisqu’elle doit lutter avec des personnes qu’elle considère comme étant opposées à une réelle émancipation des femmes. L’influence de Léon Richer dans son mouvement est d’ailleurs dénoncée par les militantes, et en premier chef par elle-même et Julie-Victoire Daubié, lorsqu’elles pointent que « ces messieurs ne vont pas aussi loin que nous » dans les revendications qu’ils portent au nom des femmes, puisque « leurs intérêts ne sont pas les mêmes ». À la mort de Léon Richer, les femmes reprennent le contrôle du mouvement féministe et les hommes qui interviennent ne le font que dans un rôle d’auxiliaire.
Défendant farouchement l’égalité entre hommes et femmes : « les deux genres sont coexistants et nécessaires à la procréation ; donc ils sont égaux », tandis que distinguant genre et sexe, elle affirme « L’infériorité des femmes n’est pas un fait de la nature, nous le répétons, c’est une invention humaine, c’est une fiction sociale ». Elle dénonce, en parallèle, une vision trop romantique de la femme, une divinisation, qui bride son émancipation. Que ce soit dans la peinture, la littérature, le théâtre, domaines pour lesquels elle se livre, à travers des conférences, à des revues critiques argumentées d’auteurs aussi bien historiques, que contemporains ; ainsi, Jean-Jacques Rousseau, après avoir été encensé par les républicains les décennies précédentes, n’échappe pas à ses critiques, bien qu’elle soit moins virulente que Séverine dans son expression. Tout en lui trouvant la circonstance atténuante d’avoir répliqué des propos tenus par d’autres, elle s’appuie sur les idées de Rousseau développées dans la création des inégalités, mais dénonce son mépris de la femme et le modèle d’éducation proposé, aussi bien pour Émile, que pour Sophie, les trouvant aussi pernicieux pour l’homme que pour la femme. À l’inverse elle est très critique avec l’homme du peuple qui, selon elle, méprise et humilie sa compagne. Elle attribue les inégalités entre sexes plus à la paresse des uns et des autres qu’aux structures politiques gouvernantes.
Maria Deraismes incarne l’aspiration à la liberté, à la laïcité de l’État et de l’enseignement, la recherche de l’égalité des droits entre la femme et l’homme.
Réflexions sur le féminisme et la place des femmes dans Château Falkenstein
Voilà qu’il y a souvent de quoi se questionner sur la place des femmes dans la société néo-victorienne de Château Falkenstein, il serait pertinent de mettre en avant les paradoxes et les contrastes.
Dans l’univers de Château Falkenstein, les femmes jouissent d’une liberté et d’une émancipation qui semblent bien en avance sur celles de leurs homologues de la période victorienne réelle. Cependant, cette société reste profondément ancrée dans des structures sociales rigides, où les classes et les convenances jouent un rôle déterminant.
Une émancipation réelle, mais limité par les apparences
L’un des aspects les plus intrigants de cette société est le fait que, malgré les avancées en matière de droits des femmes, les normes sociales et la bienséance restent extrêmement rigides. Les femmes peuvent certes occuper des rôles de pouvoir, s’engager dans des professions variées, voire participer à des activités aventureuses ou criminelles, mais elles doivent néanmoins naviguer dans un réseau complexe de conventions sociales.
Les Aventurières et les Demi-mondaines, par exemple, sont des figures qui dépendent non seulement de leurs compétences, mais aussi de leur capacité à respecter (ou à manipuler) les attentes sociales. Les Demi-mondaines, bien que puissantes, doivent constamment gérer leur image et leurs relations pour maintenir leur influence, ce qui souligne une forme de liberté sous conditions.
Les classes sociales : Un système toujours rigide
Bien que les femmes aient conquis de nombreux droits dans cet univers, la société reste divisée par des barrières de classe qui semblent infranchissables. Les interactions entre les différentes classes sociales sont régies par des règles strictes, et toute tentative de transgresser ces barrières est souvent mal vue, voire sanctionnée. La « scène sociale » est un terrain où la réputation et les apparences comptent énormément, et où les écarts peuvent être rapidement exploités pour détruire une ascension sociale ou discréditer un adversaire.
Le contrôle des femmes sur la sphère publique et privée
Dans cette société, les femmes, tout en ayant accès à des postes de pouvoir, restent étroitement surveillées et doivent se conformer à des normes de comportement spécifiques. Cela se voit dans la façon dont elles sont attendues à maintenir une image de « femme respectable » tout en exerçant leurs fonctions. Le poids de la bienséance influence non seulement leur comportement, mais aussi leur façon d’exercer le pouvoir. Elles doivent souvent jongler entre leurs ambitions personnelles et les attentes sociales.
Ce n’est qu’un début ?
Bien que l’univers de Château Falkenstein offre un cadre où les femmes peuvent s’émanciper et exercer une influence significative, il reste sous-tendu par une structure sociale rigide. Cette combinaison d’émancipation et de contrôle social crée un univers riche en contradictions, où les femmes doivent naviguer habilement entre leurs ambitions et les conventions imposées par une société encore très attachée aux apparences et aux distinctions de classe.
Donc, des personnages tels que Maria Deraismes et ses allié.es ont bien leur place et un rôle à jouer. En gros, si les droits des femmes ont progressé rapidement dans la société néo-victorienne, cela ne veut pas forcément dire que cela soit le cas partout ni que cela soit accepté. Les régimes politiques en place dans les années 1870 restent encore très rigides. Il y a de quoi faire.