D20 Afghanistan⊠et la série Real Life Roleplaying
Au dĂ©but des annĂ©es 2000, Holistic Design lance une ligne improbable : Real Life Roleplaying. Pas de dragons, pas de magie, mais lâAfghanistan en guerre, la Somalie, la Colombie et mĂȘme le FBI. Sortis en pleine âWar on Terrorâ, ces supplĂ©ments d20 transforment lâactualitĂ© en dĂ©cor de jeu. Artefacts mĂ©caniques, curiositĂ©s Ă©ditoriales⊠et tĂ©moins dâun certain mauvais goĂ»t.
La collection Real Life Roleplaying
En 2002, Ken Lightner et Tom Ricks publient Afghanistan: d20. Dâautres suivront : Somalia: d20, Colombia: d20 et FBI: d20. LâidĂ©e : utiliser le systĂšme d20, alors au sommet de sa popularitĂ©, pour simuler des opĂ©rations militaires contemporaines.
Afghanistan: d20 (2002, 128 pages)


Premier volume de la ligne, il a Ă©tĂ© conçu avant la sortie de d20 Modern et nĂ©cessite le Playerâs Handbook de D&D 3e Ă©dition. Le supplĂ©ment ajoute des rĂšgles spĂ©cifiques : tir de suppression, nouvelles classes comme lâOfficier, dons âsociauxâ.
Contenu : historique condensé, présentation des forces US, Talibans et Al-Qaïda, rÚgles de combat moderne, arsenal détaillé (armes, véhicules, aéronefs), PNJ, scénarios-types.
TonalitĂ© : trĂšs marquĂ©e par lâactualitĂ©, avec un vocabulaire militaire (âTaliban thugsâ) et des simplifications (âtous les Talibans sont Pashtounesâ).
Certaines versions promotionnelles du supplĂ©ment (archives de vente en ligne, dĂ©but des annĂ©es 2000) utilisaient un ton beaucoup plus martial, avec des formules comme âwipe the floor with Osamaâ. Ce texte a disparu des fiches actuelles (DriveThruRPG propose aujourdâhui un blurb réécrit, plus neutre). »
Somalia: d20 (2003)


Pensé comme une extension plus complÚte pour le contemporain.
Contenu : plus de 25 nouveaux dons et aptitudes, rÚgles pour rendre le combat plus létal, présentation rapide des conflits somaliens (seigneurs de guerre, pirates), gestion de la faim, des maladies et des blessures graves.
TonalitĂ© : insiste sur la dangerositĂ© extrĂȘme du cadre, conçu pour des missions oĂč la survie est un enjeu permanent.
RĂ©ception : surtout utilisĂ© comme âboĂźte Ă outilsâ par des meneurs souhaitant pimenter leurs rĂšgles modernes.
Colombia: d20 (2003)


Probablement le plus riche en termes de cadre.
Contenu : historique du pays et de ses conflits, fiches sur cartels, guĂ©rillas et paramilitaires, une âSample Cityâ dĂ©crite comme terrain de jeu, une aventure dâintroduction et des outils pour mener des campagnes stratĂ©giques (zones dâinfluence, narcotrafic).
TonalitĂ© : entre polar noir et wargame contemporain. Contrairement Ă ce que certains ont pu croire, il nây a pas de chapitre spĂ©cifique âjouer lâinsurrectionâ : la perspective reste principalement celle des forces rĂ©guliĂšres, les guĂ©rillas Ă©tant dĂ©crites comme antagonistes.
Réception : apprécié pour sa richesse de détails, mais toujours critiqué pour une vision caricaturale des acteurs locaux.
FBI: d20 (2004)


Dernier volume, centré cette fois non pas sur un pays mais sur une organisation.
Contenu : historique, organisation interne, divisions, profils dâagents, arsenal, et accroches de scĂ©narios autour du crime organisĂ©, du terrorisme ou de lâespionnage.
TonalitĂ© : plus institutionnelle, presque un manuel dâorganisation.
Réception : jugé plus neutre que les autres, mais trÚs orienté pro-FBI.
Réceptions et critiques
a rĂ©ception de la sĂ©rie a toujours Ă©tĂ© ambivalente. DĂšs 2002, Afghanistan: d20 a eu droit Ă deux critiques sur RPG.net notĂ©es positivement (3/4 et 4/4), saluant lâapport dâun supplĂ©ment moderne pour un systĂšme encore trĂšs fantasy-centrĂ©. Pour certains, câĂ©tait enfin une façon de jouer contemporain avec d20.
Mais cet enthousiasme technique a vite Ă©tĂ© tempĂ©rĂ©. De nombreux rĂŽlistes ont trouvĂ© le timing problĂ©matique : sortir un jeu sur la guerre dâAfghanistan en pleine intervention amĂ©ricaine relevait presque de lâopportunisme Ă©ditorial. Le blogueur Dyson Logos a dâailleurs rappelĂ© que le supplĂ©ment avait Ă©tĂ© conçu avant mĂȘme d20 Modern, avec un bricolage de rĂšgles pas toujours Ă©lĂ©gant.
Au fil des discussions, le malaise sâest cristallisĂ© : les supplĂ©ments Ă©taient utiles comme banques dâarmes et de vĂ©hicules, mais idĂ©ologiquement datĂ©s. Les Talibans et Al-QaĂŻda sont traitĂ©s comme des blocs dâennemis sans nuance, tandis que les forces amĂ©ricaines incarnent par dĂ©faut les âhĂ©rosâ. Dans Colombia, lâambition dâĂ©largir le spectre vers la guĂ©rilla nâefface pas lâasymĂ©trie du traitement. FBI: d20 semble plus neutre, mais reste une glorification institutionnelle.
En résumé, la série oscille entre curiosité mécanique et propagande implicite.
Que reste-t-il Ă en tirer ?
- Utilité technique : rÚgles pour le combat moderne, fiches de matériel, quelques accroches de scénarios.
- Valeur historique : tĂ©moignage de la culture rĂŽliste post-11 septembre, quand mĂȘme le jeu voulait âcoller Ă lâactualitĂ©â.
- Limites criantes : simplification outranciÚre des acteurs locaux, absence de voix civiles, cadrage idéologique unilatéral.
Encadré
Jouer le contemporain sensible sans tomber dans le mauvais goût
Session zéro claire
Avant de jouer dans un cadre inspirĂ© de conflits rĂ©els, une session zĂ©ro est indispensable. Câest le moment dâĂ©tablir les limites (lignes Ă ne pas franchir, thĂšmes hors jeu) et les voiles (Ă©lĂ©ments suggĂ©rĂ©s mais non dĂ©crits). On sâassure que tout le monde est Ă lâaise, personne nâest forcĂ© de vivre une situation insupportable.
Multiplier les perspectives
Ces supplĂ©ments enfermaient les joueurs du cĂŽtĂ© militaire. On peut ouvrir le spectre : incarner des journalistes, humanitaires, ONG, civils ou membres de la diaspora. Ces points de vue enrichissent la partie et Ă©vitent la caricature du âsoldat contre terroristeâ.
Documenter un minimum
Quelques articles, tĂ©moignages ou podcasts suffisent Ă donner de la profondeur. Lire ne serait-ce quâun aperçu de la diversitĂ© afghane ou somalienne empĂȘche de rĂ©duire tout un peuple Ă des âennemis typesâ.





Fictionnaliser quand nécessaire
Si le réel est trop sensible, on peut transposer : inventer un pays, une ville, ou jouer une période post-conflit (reconstruction, justice transitionnelle, exil). Cela conserve la tension dramatique tout en évitant de rejouer une tragédie brute.
Attention au langage
Le livre lui-mĂȘme tombe dans des raccourcis comme âtous les Talibans sont Pashtounesâ â simplification abusive. En jeu, mieux vaut nuancer, donner des noms et des histoires Ă ses PNJ, Ă©viter slogans guerriers et insultes. Le langage construit la vision : utilisons-le avec soin.
Alors, vraiment qu’en penser ?
Ces jeux ne sont pas des objets neutres : ils tĂ©moignent dâune Ă©poque oĂč lâĂ©dition cherchait Ă coller Ă lâactualitĂ© sans toujours mesurer lâimpact culturel.
Oui, ils contiennent des outils mécaniques intéressants.
Mais ils sont aussi porteurs dâun imaginaire binaire et martial. Les relire aujourdâhui, câest un exercice critique : comprendre comment le jeu de rĂŽle reflĂšte les idĂ©ologies de son temps, et apprendre Ă jouer le contemporain sans tomber dans les piĂšges du mauvais goĂ»t.
Commentaires
2 rĂ©ponses Ă “D20 Afghanistan… ou pas ?”