Introduction : Quand l’aventure sentait la Gauloise
Ah la France… ce pays de fromages, de fonctionnaires, et de flics en Renault 18. Est-ce que c’était une terre d’aventuriers ? Pas évident à première vue. Mais en grattant un peu sous la VHS, on découvre quelques figures marquantes qui ont, mine de rien, forgé un imaginaire rôliste bien de chez nous. Et pas besoin de cape ou de laser pour faire frémir la ménagère de moins de 50 ans. Les héros français, eux, ont des sacs Monoprix et des imperméables froissés. Et quand ils braquent une banque, ils le font avec un nez rouge et une veste en tweed.
Le MJ : Que prends-tu comme perso ?
Alfred : Un détective privé, ancien de la CIA, avec un 357 magnum et une Ferrari, qui a vachement bourlingué au Vietnam…
MJ : Encore ? Tu ne peux pas trouver autre chose ?
Al. : Quel genre ?
MJ : Un ancien gendarme marseillais, qui a un début de cirrhose, devenu “chercheur de personnes disparues” parce que sa fille a fait une fugue et n’est jamais revenue. Il roule dans une 205 toute pourrie, et se traîne dans tous les coins malfamés de France, et parfois il a fort à faire avec des sectes satanistes qui entr…
Al. : Ouais, mais il aurait pu travailler à la CIA ?
MJ : Non, et en plus il a un accent anglais à chier, il est gros, malade, et…
Al. : Attends c’est mon perso, je fais ce que je veux !!!
MJ : Tu veux quoi ? Faire du jeu de rôle ou faire MJ (ndlr : sic) ? Tu feras ce que tu veux une fois que t’auras fais un perso qui cadre à l’histoire que je t’ai préparée. Et en plus tu sais même pas jouer un agent de la CIA.
Al. : Ah ouais, et donc tu me vois ancien gendarme alcolo ?
MJ : Vu le nombre de fois qu’ils t’ont arrêté, tu dois commencer à connaître le milieu…
Des héros, oui, mais avec la gueule de l’emploi
Les années 80, c’est le règne de Belmondo qui saute d’un hélicoptère sur un train, le tout avec une dégaine impeccable. Bébel, c’est un peu le Indiana Jones gaulois, sans chapeau mais avec une gouaille qui fait mouche. C’est du charisme, des répliques ciselées, et des cascades faites maison — oui monsieur, sans doublure ! Il incarne ce type de héros râleur mais droit, poing serré et cœur tendre, qui cogne d’abord et réfléchit en fumant une clope ensuite.
- Le Professionnel (1981) : Des punchlines, un flingue, et une musique de Morricone. Que demander de plus ?
- L’As des As (1982) : Boxeur, pilote, résistant… tout ça en 1h40. Bonus moustache.
- Le Marginal (1983) : Bébel qui explose une cargaison de drogue à coups de rage et de Mobylette. De la sueur, du cuir, et du tabac brun.
- Hold-Up (1985) : où Belmondo joue un clown qui braque une banque. Littéralement. Et ça fonctionne.




À ses côtés, on retrouve Lino Ventura, encore massif et charismatique dans Le Ruffian (1983), un film qui fleure bon l’aventure à l’ancienne. Ventura, c’est la version rugueuse de l’honnêteté, une masse d’humanité qui fait face à l’adversité comme on ouvre une porte bloquée : avec l’épaule et sans se plaindre.



Et Alain Delon, toujours impeccable, même en flingueur solitaire dans Parole de Flic ou Ne réveillez pas un flic qui dort (1988), aussi froid qu’un mojito en plein hiver.



Claude Brasseur a marqué les années 70 et 80 avec plusieurs rôles majeurs dans des films policiers ou d’action. Dans La Crime (1983), il incarne un commissaire tenace confronté à une affaire trouble. Il brille également dans La Guerre des polices (1979), où il campe un flic en guerre ouverte avec une autre brigade, un rôle qui lui vaudra un César. Dans Une robe noire pour un tueur (1981), il incarne un homme accusé à tort, luttant pour son innocence, tandis que Légitime violence (1982) le plonge dans une vendetta urbaine saisissante. Dans Le Léopard (1984), il joue un écrivain embarqué dans une affaire d’espionnage, à mi-chemin entre le polar et l’aventure excentrique. Si L’Union sacrée (1989) ne lui donne qu’un rôle secondaire, c’est dans les films précédents qu’il impose un véritable archétype : celui du flic rugueux, du citoyen usé, toujours prêt à encaisser plus qu’il ne devrait. Un acteur idéal pour un personnage de JdR rompu au terrain, usé mais pas brisé.




Ces héros ne courent pas toujours, parfois ils avancent d’un pas lourd. Ils ne crient pas, ils grognent. Et ils boivent leur café noir dans des gobelets en plastique, au milieu des flaques de gasoil et des mégots écrasés.
Mais au-delà des évidences, un duo inattendu s’impose dans la décennie : Pierre Richard et Gérard Depardieu. Le grand blond maladroit et l’ogre bourru. Ensemble dans La Chèvre (1981), Les Compères (1983), puis Les Fugitifs (1986), ils créent un cocktail unique d’action comique à la française. Pas besoin de fusillades hollywoodiennes quand une porte peut claquer sur les doigts ou qu’un chien peut causer une course-poursuite épique. Et ça cartonne au box-office.



Pierre Richard, loin d’être un simple clown, incarne le Français moyen projeté dans des situations absurdes. Un anti-héros parfait pour le JdR, qui survivrait à tout sauf à sa propre maladresse.
Et Coluche ? Il ne faut pas l’oublier. Dans Inspecteur la Bavure (1980), il campe un flic malgré lui, oscillant entre satire et comédie pure. Mais il joue aussi plus sérieux dans Tchao Pantin (1983), où il est inoubliable en pompiste nocturne rongé par la vie, embarqué malgré lui dans une spirale de vengeance. Un autre type d’action, plus sociale, mais tout aussi forte.



En plein cœur des eighties, de nouveaux visages prennent le relais. Exit les cowboys en mocassins vernis, bonjour les types en jeans délavés et perfectos élimés. C’est la relève des mecs cabossés, mais vivants.
Gérard Lanvin commence à taper du voyou dans Le Prix du Danger (1983), un proto-Hunger Games avant l’heure, avec plus de bière que de lasers.


Bernard Giraudeau, quant à lui, dégageait un charme calme mais intense. Il excellait dans des rôles ambigus, parfois tendres, parfois inquiétants. Dans Rue Barbare (1984), il campe un ancien voyou revenu sur ses terres, entre justice expéditive et mélancolie post-gangstérisme. On le retrouve aussi dans Les Spécialistes (1985), un tandem d’évasion où il partage l’écran avec Gérard Lanvin dans un western de montagne version tricolore. Il incarne un type de héros ambigu, plus proche du samouraï urbain que du flic syndiqué. Idéal pour un personnage à jouer sur le fil du rasoir, entre justice et règlement de comptes.


Et bien sûr Christophe Lambert, venu d’ailleurs, en route pour l’immortalité avec Highlander (1986), mais aussi I Love You (1986) ou Subway (1985), où il incarne un anti-héros new wave, perdu dans un Paris de néons et de synthé. Il est le chaînon manquant entre le punk de banlieue et le samouraï des égouts.


Mention spéciale à Tchéky Karyo, souvent dans les seconds rôles à l’époque, mais toujours à deux doigts de péter un plomb. Il deviendra un visage familier des films d’action made in Besson. C’est le regard fou du cinéma français, celui qui crie « tu sais pas à qui tu parles ! » en arrachant sa cravate.
Et on pourrait citer aussi des outsiders comme Francis Huster, ou Richard Bohringer, qui errent entre polar social et action désabusée, apportant chacun leur dose de gravité, d’humour sec, ou de vodka pure.
Jean Reno fait son petit bonhomme de chemin en arrière-plan, souvent silencieux, mais déjà inquiétant. Un genre de force tranquille prête à surgir. On sent le futur Léon qui couve sous les costards gris de second rôle. Il est la prestance muette, celle qui fait peur sans bouger.
À la télé : cardigan, flingue et procès-verbal
Pendant que les Américains balancent MacGyver, Magnum, et L’Agence Tous Risques, nous, on a des flics en tricot de peau, des Renault 21 break, et parfois un flingue sous la chemise. Mais il ne faut pas sous-estimer le pouvoir narratif de la moustache bien taillée.
- Navarro : père de famille, voix grave, et morale en béton. Il regarde, et les suspects avouent.
- Commissaire Moulin : l’action, la vraie. Courses-poursuites, bastons, castagnes dans les couloirs de la PJ.
Mais ajoutons aussi à la liste quelques ovnis télévisuels de l’époque, qui mériteraient leur propre fiche de perso :
- Coplan : avant d’être une série, c’était un héros de romans d’espionnage. L’adaptation télé nous livre un agent très frenchy, moins gadgets que Bond, mais plus regard noir et manteau long.
- David Lansky : Johnny Hallyday en flic rock’n’roll. C’est 80s à mort, cuir, flingue, et solo de guitare.
- Les Dossiers de l’inspecteur Lavardin : Jean Poiret en enquêteur cynique, ancien flic devenu privé. Du polar à la Chabrol, entre rires grinçants et critique sociale.
- Espionne et tais-toi : un mélange de comédie et d’espionnage, avec une héroïne qui tient tête aux barbouzes en robe de soirée.
- Les Enquêtes du commissaire Maigret : le retour du vieux briscard à pipe, calme et implacable. Une figure rassurante et tenace.
- Marie Pervenche : agent de police municipale gaffeuse, attachante et parfois franchement badass, incarnée par Danièle Évenou.
- Les Brigades du Tigre : rediffusée dans les années 80, cette série patrimoniale installe le mythe du policier d’élite à la française.
- Julien Fontanes, magistrat incarne le fonctionnaire engagé, version Zola chez TF1. Ce ne sont pas des flingues qui parlent, mais des procès-verbaux… et pourtant, y’a du jeu !
Et côté JdR ?
Dans les années 80, les héros français inspirent peu de fiches de personnages… sauf pour rigoler entre potes un soir de campagne bac + bières. Pourtant, il y a là un vrai vivier pour des parties de jeux de rôle à la française :
- Des flics fatigués mais pugnaces, qui ont vu trop de cadavres dans les sous-sols de Belleville.
- Des détectives de banlieue au passé trouble, qui roulent en 305 SRD et dorment dans leur bureau.
- Des journalistes d’investigation à moustache, avec des relations dans les archives municipales.
- Des anciens barbouzes recyclés en profs d’EPS.
- Des brocanteurs-espions, des vétérans du Liban reconvertis en vigiles…
On est loin des superespions et des ninjas cybernétiques, mais ce réalisme crasse a du potentiel. Les intrigues sont sombres, les armes rouillent, les clopes se consument lentement. Une ambiance qui sent le café réchauffé, l’alcool fort, la moquette grise et les illusions perdues.
Même des jeux comme Trauma, Simulacres, ou des campagnes maison peuvent s’en inspirer pour un cadre plus franco-français, ancré dans les années Mitterrand, entre gros titres de Libé, néons de PMU, et ambiance polar grisâtre. Le jeu de rôle devient un miroir sale mais fidèle de l’Hexagone, où le danger rôde derrière chaque grille d’immeuble.
En résumé : pas besoin de muscles, mais un bon blouson en cuir
Le cinéma d’action français des années 80, c’est moins d’explosions, plus de gueules. Moins de super-soldats, plus de types un peu usés mais tenaces. Des héros du quotidien, avec des noms comme Roger ou Bernard, qui savent encaisser et se relever, même sans gilet pare-balles. Qui ont le regard sombre et le cœur cabossé, mais la morale vissée au corps comme une étiquette Lidl.
Et si on les prenait au sérieux dans nos scénarios ? Ils ont du vécu, des failles, et des costards qui grattent. Parfait pour des parties intenses, où la menace ne vient pas de l’espace mais du hangar 14 à Vitry-sur-Seine. Où le méchant est un promoteur immobilier véreux, et l’arme fatale un vieux revolver Lebel rouillé.
Il y a mille façons d’imaginer un héros français dans les années 80 :
- Le baroudeur fatigué qui se souvient de l’Algérie.
- Le prof de techno reconverti en détective du dimanche.
- Le banlieusard qui tombe sur un trafic de drogues pendant sa tournée de livraison.
Ce sont ces personnages-là qui donnent un goût particulier à nos histoires : ni super-héros, ni espions, mais des gens un peu usés, un peu drôles, souvent cabossés… et profondément humains.
Prochain épisode : les années 90, entre gros flingues, Bessonisme flamboyant, et tentatives désespérées de coller aux codes américains.