Avant que le Code Hays ne vienne corseter la production hollywoodienne et aseptiser ses rĂ©cits, il y eut des films qui mordaient franchement. La Femme aux cheveux rouges (Red-Headed Woman, 1932) de Jack Conway est de ceux-lĂ . Produit par la MGM en pleine Ăšre prĂ©-Code, ce film nâa pas seulement fait grincer des dents : il a incarnĂ© Ă lui seul lâidĂ©e mĂȘme de ce que les ligues de morale voulaient bannir des Ă©crans.
Lâascension sociale par les bas rĂ©sille


Lillian âLilâ Andrews (Jean Harlow) est secrĂ©taire dans une petite ville de lâOhio. Mais Lil nâa rien dâune figure docile : elle veut grimper lâĂ©chelle sociale, coĂ»te que coĂ»te. Elle sĂ©duit son patron mariĂ©, William Legendre Jr., provoque son divorce, puis lâĂ©pouse. Mais dans ce monde dâhommes oĂč les apparences comptent plus que tout, la place quâelle convoite nâest jamais vraiment Ă sa portĂ©e. MĂ©prisĂ©e par la haute sociĂ©tĂ©, Lil tente alors de forcer son intĂ©gration par dâautres moyens : sĂ©duction, chantage, double jeu. Son ambition se nourrit de cynisme, et sa chute, lorsquâelle vient, ne ressemble jamais Ă une punition morale.



Car La Femme aux cheveux rouges ose ce quâHollywood nâosera plus avant longtemps : mettre en scĂšne une femme qui revendique son dĂ©sir â dĂ©sir dâascension, dĂ©sir de pouvoir, dĂ©sir sexuel â sans la punir par la mort ou la repentance. Certes, elle Ă©choue Ă sâintĂ©grer. Mais dans la scĂšne finale, on la retrouve Ă Paris, richement entretenue, pas repentante pour un sou. La morale patriarcale en prend un coup.

Un scĂ©nario explosif⊠réécrit pour ĂȘtre plus âacceptableâ
Le film est adaptĂ© dâun roman de Katharine Brush par Anita Loos, aprĂšs quâun premier scĂ©nario signĂ© F. Scott Fitzgerald a Ă©tĂ© jugĂ© âtrop sĂ©rieuxâ. DĂ©jĂ , la mĂ©canique de lâindustrie se met en place : il faut Ă©dulcorer, allĂ©ger, faire sourire pour mieux faire passer la pilule. DerriĂšre la comĂ©die romantique, câest pourtant un pamphlet social qui se joue : celui dâune sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine puritaine qui mĂ©prise les classes laborieuses et diabolise toute femme refusant de rester Ă sa place.


Le contexte de production lui-mĂȘme est rĂ©vĂ©lateur : Irving Thalberg, producteur lĂ©gendaire de la MGM, doit nĂ©gocier directement avec le bureau de Will Hays pour Ă©viter la censure.
RĂ©sultat : 17 coupes imposĂ©es, notamment dans les scĂšnes jugĂ©es trop sexuelles ou âsuggestivesâ. MalgrĂ© cela, les ligues de vertu sâindignent encore : comment tolĂ©rer quâune âfemme fataleâ tire sur un homme sans ĂȘtre punie ? Comment admettre quâelle survive sans rĂ©demption ?

Une menace pour lâordre moral amĂ©ricain

La Femme aux cheveux rouges nâa pas seulement choquĂ© : il a alimentĂ© les arguments des partisans de la censure. Deux ans plus tard, en 1934, le Code Hays sera appliquĂ© avec rigueur.
Le cinĂ©ma hollywoodien entrera alors dans une longue pĂ©riode de normalisation oĂč toute sexualitĂ© fĂ©minine deviendra suspecte, oĂč lâadultĂšre ne sera tolĂ©rĂ© quâĂ condition dâĂȘtre puni, et oĂč les femmes ambitieuses seront rĂ©duites Ă la caricature.

Mais ce film, Ă sa maniĂšre, est un acte de rĂ©sistance. En filmant une hĂ©roĂŻne qui ne sâexcuse jamais dâexister, en exposant sans fard les hypocrisies dâune classe dominante prompt Ă condamner ce quâelle pratique elle-mĂȘme, il ouvre une brĂšche dans le rĂ©cit hollywoodien traditionnel. On peut mĂȘme y lire, en creux, une critique de lâordre patriarcal : Lil est peut-ĂȘtre amorale, mais elle est aussi lucide sur les rĂšgles du jeu social. Et elle les joue mieux que les hommes.

Pour la table : intrigues et scandales Ă jouer
La Femme aux cheveux rouges offre de nombreuses pistes pour enrichir une campagne, surtout dans des jeux centrés sur les dynamiques sociales ou les intrigues de pouvoir :
- Lâascension sociale Ă tout prix : un·e PNJ charismatique et controversé·e utilise charme, sĂ©duction et manipulation pour grimper dans la hiĂ©rarchie dâune grande entreprise, dâun ministĂšre ou dâune sociĂ©tĂ© secrĂšte. Les PJ sont tĂ©moins ou complices â mais Ă quel prix ?
- Scandale et surveillance : une enquĂȘte sur des photos compromettantes, un chantage amoureux ou une affaire dâadultĂšre menace de faire exploser un rĂ©seau politique. Les joueurs doivent choisir entre vĂ©ritĂ© et rĂ©putation.
- Justice ou hypocrisie : un procĂšs ou une campagne de presse vise Ă faire tomber une femme âimmoraleâ â mais les vĂ©ritables corrupteurs se trouvent ailleurs.
- Vengeance post-rejet : un ancien·ne amant·e tire sur un personnage central de la campagne, ou orchestre sa chute, déclenchant une série de représailles et de révélations.
Ces idĂ©es fonctionnent aussi bien dans un contexte Cthulhu annĂ©es 30 (oĂč la haute sociĂ©tĂ© cache ses secrets dans les alcĂŽves) que dans un univers Falkenstein ou Mega 5e (oĂč les jeux de pouvoir traversent les mondes).
Pourquoi revoir ce film aujourdâhui ? Parce quâil raconte ce quâHollywood aurait pu devenir sans bĂąillon moral. Parce quâil montre une hĂ©roĂŻne qui refuse de sâexcuser dâexister. Parce quâil expose lâhypocrisie sociale sous des dehors lĂ©gers. Et parce quâil rappelle, surtout, quâavant dâĂȘtre domestiquĂ©, le cinĂ©ma pouvait encore ĂȘtre subversif.
