Bien avant Tony Montana et la coke clinquante des années 80, il y eut Tony Camonte, immigré italien lancé à l’assaut de Chicago. Scarface, réalisé par Howard Hawks en 1932, n’est pas seulement un film de gangsters fondateur : c’est un miroir tendu à l’Amérique de la Prohibition, de la violence et du capitalisme sauvage. Produit par Howard Hughes et écrit en onze jours par Ben Hecht, ce film en noir et blanc s’inspire directement de la trajectoire d’Al Capone, dont la légende gangrenait déjà l’imaginaire collectif.

Scarface (1932)

Classique absolu et scandale originel

Sorti avant l’entrée en vigueur du Code Hays, Scarface se heurte immédiatement aux ligues de moralité et aux censeurs. On l’accuse de glorifier le crime, d’encourager l’immigration italienne à se tourner vers la violence, de présenter un gangster comme un modèle de réussite.

Scarface (1932)

Résultat : une sortie retardée de plus d’un an, un titre modifié (Scarface: The Shame of a Nation), une introduction moralisatrice ajoutée de force et même… une fin alternative où Tony se rend à la police pour expier ses fautes. Certaines projections imposeront ces modifications, d’autres diffuseront la version originale – preuve que l’Amérique n’en avait pas fini avec ses propres contradictions.

Scarface (1932)

L’ironie est mordante : censuré pour son supposé pouvoir d’influence, Scarface finira par devenir l’un des films les plus influents de l’histoire du cinéma criminel, cité par des générations de cinéastes, de De Palma à Scorsese, et inscrit en 1994 au National Film Registry comme œuvre patrimoniale majeure.

Scarface (1932)

Objet politique déguisé

Ce que montre Scarface, c’est moins la glorification du crime que sa logique interne. L’Amérique de l’entre-deux-guerres a créé Tony Camonte : la Prohibition, l’explosion urbaine, la corruption, la misère des migrants. Tony ne fait que jouer avec les règles d’un système qui récompense les plus impitoyables. Son ascension est une parabole brutale sur la compétition capitaliste, et sa chute – sous un panneau publicitaire proclamant “The World Is Yours” – un commentaire acerbe sur le rêve américain.

Le film dit aussi beaucoup sur le regard porté sur les étrangers : Tony est un “autre” qu’on accuse d’apporter la criminalité, alors même que son succès repose sur les failles et les hypocrisies de la société qui l’accueille. En cela, Scarface n’est pas qu’un polar : c’est une radiographie d’un pays en crise, où la violence économique et la violence des rues ne font qu’une.

Source d’inspiration Rôliste ?

Pour un·e meneur·se, Scarface est un canevas prêt à l’emploi.

  • Structure narrative : montée en puissance, trahisons, paranoïa, isolement, chute.
  • Décor : Chicago 1920, Prohibition, rackets, bootlegging, guerre des gangs.
  • Personnages types : le parrain vieillissant, le bras droit ambitieux, la sœur libre et scandaleuse, l’amante fatale.
  • Thématiques à explorer : l’ambition qui dévore, la loyauté qui se fissure, la violence comme moteur social.

Dans un Appel de Cthulhu contemporain ou une campagne pulp, Tony Camonte peut servir de modèle pour un antagoniste obsédé par sa propre ascension. Dans un jeu plus réaliste, il peut devenir un miroir de l’Amérique : un symbole d’intégration ratée, d’avidité, de chute.



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