C’est l’une de ces figures qu’on croise à la lisière de l’histoire littéraire et des marges flamboyantes. Une Américaine installée à Paris, riche, libre, poétesse, lesbienne revendiquée à une époque où l’on n’avait pas encore inventé le mot pour le dire à haute voix. Natalie Clifford Barney est née à Dayton, dans l’Ohio, le 31 octobre 1876. Très tôt, elle s’est affranchie des règles. Elle écrit, elle aime, elle provoque. Et surtout, elle crée un monde à son image, entre art, amour et insubordination.


Elle arrive en France très jeune. Sa famille, fortunée, lui permet de vivre à sa guise, ou presque. Dès les années 1900, elle publie des vers en français, affirmant sa voix et son désir sans détour. Le recueil « Quelques portraits-sonnets de femmes » (1900), publié à compte d’auteur, déclenche l’ire paternelle et la censure familiale. On y lit :
« Ton nom me reste au cœur, comme au creux de la main Le parfum de la rose après qu’elle est fanée. »
C’est une poésie d’amour — amours de femmes — dans une langue classique, mais portée par une audace peu commune.
À partir de 1909, elle fait du pavillon qu’elle habite rue Jacob, à Paris, un salon littéraire singulier. Un lieu d’échanges, mais aussi de résistance douce aux normes de son temps. On y croisera au fil des années Colette, Romaine Brooks, Paul Valéry, Jean Cocteau, mais aussi de nombreuses autrices oubliées aujourd’hui. Ce salon durera plus d’un demi-siècle.
Elle déclara plus tard avoir su qu’elle était lesbienne dès l’âge de douze ans, et choisit très tôt de « vivre ouvertement, sans cacher quoi que ce soit ». Parmi ses compagnes les plus célèbres, on compte Eva Palmer (vers 1893), Liane de Pougy (1899), Renée Vivien (1899-1901), Olive Custance (vers 1901), Colette (1906), Élisabeth de Gramont (à partir de 1910), Dolly Wilde (années 1927-1941) et surtout l’artiste peintre Romaine Brooks (1915–1970), avec qui elle partagea une relation intense, entre passion et indépendance.



Elle signe ses œuvres de son vrai nom, parle de ses amantes, écrit à leur sujet, compose avec et pour elles. Elle incarne un saphisme aristocratique, un féminisme poétique, et une liberté sans remords.



Dans « Pensées d’une Amazone » (1920), elle note :
« La société pardonne bien plus volontiers les délits que les écarts de conduite. »
Son style est à l’image de sa vie : clair, décisif, parfois ironique. Elle moque les conventions, défend la possibilité d’une vie fondée sur la sincérité du sentiment et la beauté du verbe.
La bague chauve-souris
Parmi les anecdotes marquantes liées à Natalie Clifford Barney, figure celle d’un bijou singulier offert par Liane de Pougy, célèbre courtisane et amante.

En 1899, elle commande à René Lalique une bague en forme de chauve-souris, sertie de pierre de lune, d’émail bleu et de diamant. Ce bijou Art Nouveau, aujourd’hui conservé au musée des Arts décoratifs de Paris, témoigne à sa manière de l’audace et du raffinement de ce lien amoureux.
La chauve-souris, animal nocturne et fascinant, pourrait symboliser la liberté d’aimer autrement, loin des conventions. Elle évoque aussi une sensibilité pour les figures hybrides, celles qui défient les normes établies — entre ciel et caverne, entre poésie et étrangeté. Mais Natalie n’a jamais cultivé l’ombre : elle affirma son lesbianisme dès l’adolescence et mena toute sa vie en pleine lumière, publiant, écrivant et aimant sans se cacher, avec une insistance joyeuse à ne jamais plier. Ce bijou, offert par Liane de Pougy dans le cadre d’une relation assumée et publique, témoigne avant tout d’une esthétique partagée et d’un goût commun pour les signes audacieux.
Pour le jeu de rôle : des pistes d’inspiration
Une présence déjà incarnée dans « Verne & Associés »
Natalie Clifford Barney est déjà un personnage pleinement intégré à l’univers du supplément rôliste Verne & Associés 1913 : La Ligue des Érinyes (scriiipt). Elle y incarne une figure centrale du réseau féministe et littéraire parisien, influente, stratège et libre penseuse. Elle agit notamment comme inspiratrice et planificatrice d’opérations subversives au sein de la Ligue, et son profil de jeu y est présenté en détail.

Verne & Associés (1913) : Dans une autre approche ou pour une variation de campagne, Natalie peut être introduite en dehors de la Ligue, ou dans ses marges. Elle soutient un cercle d’inventrices ou d’exploratrices indépendantes, propose des archives rares, ou oriente subtilement les PJ vers des pistes qu’elle juge prometteuses. Son salon devient alors un point de départ vers des aventures plus grandes, entre poésie et technologies oubliées.
Ailleurs
Maléfices (Belle Époque) : On la découvre comme figure centrale d’un petit cercle spirite féminin. Les PJ sont invités à une séance étrange, entre poésie et occultisme, où la frontière entre suggestion et hantise devient floue. Un poème mal retranscrit pourrait contenir une malédiction, ou un appel à un esprit oublié. Son salon devient le théâtre d’événements surnaturels, toujours entre le charme et le malaise.
L’Appel de Cthulhu (1890, années 20/30, Pulp) : Natalie peut apparaître jeune écrivaine curieuse ou, plus tard, grande initiée de réseaux artistiques ésotériques. Son salon, toujours actif dans l’entre-deux-guerres, devient un lieu de rencontre pour chercheurs, artistes, occultistes, voire sociétés secrètes. Les Investigateurs peuvent y trouver un appui discret, une bibliothèque d’ouvrages rares… ou un portail vers l’inconnu.
Natalie Clifford Barney est morte en 1972, presque centenaire, toujours à Paris. Elle repose au cimetière de Passy, près de Romaine Brooks. Son œuvre, comme sa vie, continue de briller là où se fabriquent les légendes.
« L’amour est un acte sans importance, puisqu’on le recommence toujours. »
– Natalie Clifford Barney
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