Un jeu où la paranoïa est une procédure administrative
Il y a des jeux de rôle qui arrivent avec des bottes de sept lieues pour bouleverser ton imaginaire. Et puis il y a ceux qui te glissent un badge dans la poche, une fausse identité dans la main, et qui te disent à voix basse : « Tu n’as rien vu. Et maintenant, tu vas effacer toutes les traces. »
Majestic 12 fait partie de ceux-là.
Roswell, mais crédible
Le pitch part d’une uchronie bien sentie : après l’incident de Roswell, en 1947, une cellule ultra-secrète est fondée par Truman. Elle s’appelle Majestic 12, et son boulot, c’est de cacher au monde l’existence des extraterrestres — ou, à défaut, de les convaincre qu’ils ont mal vu. L’agence a carte blanche, de l’argent sale à volonté, des identités multiples et une mission sacrée : tout dissimuler.
Officiellement, elle n’existe pas. Officieusement, elle est partout. Zone 51, faux agents du FBI, technologies rétro-ingénierées, contrats avec le complexe militaro-industriel… Le jeu propose une uchronie paranoïaque où les agents n’ont pas à sauver le monde — ils doivent le maintenir dans l’ignorance.
Entre Les Envahisseurs et un PowerPoint de la CIA
Ce qui frappe d’abord dans Majestic 12, c’est la densité de son univers, présenté avec une rigueur quasi-documentaire. On y croise toutes les agences américaines possibles, de la CIA à la NSA, de la DEA à l’EPA (oui, les gars de l’écologie, mais avec des badges truqués). C’est bureaucratique, hiérarchisé, froid. Et ça rend le jeu extrêmement crédible.
Le décor est posé : on joue dans une Amérique des années 50 à 80, sans internet, où tout est plus lent, plus opaque, plus tangible. C’est du X-Files sans Mulder, du Fringe sans Walter Bishop. Une époque où le doute est un outil, le silence une arme, et les Petits-Gris sont dans le rétroviseur.
Et oui, on pense à Delta Green. Mais Majestic 12, c’est moins mythe de Cthulhu, plus désinformation froide. Moins horreur cosmique, plus théorie du complot avec power suits et aviation militaire. Et franchement, ça fait du bien.
Un système qui sait dire non
Niveau règles, pas de d100 ou de tables infinies. Ici, on lance des d6, mais avec une mécanique un peu tordue, fidèle à l’ambiance du jeu : seuls les doubles comptent.
- Un double 4 ? → 4 points.
- Un double 6 ? → 6 points.
- Aucun double ? → Échec critique. Et là, tu commences à flipper.
Tu réussis si tu dépasses la difficulté. Tu critiques si tu la doubles. Tu peux relancer un ou deux dés en cramant du stress ou de la fatigue, mais ces ressources sont précieuses. Quand ta jauge de stress tombe à 0, c’est la panique. Quand la fatigue est à bout, tu tombes. Et ici, pas de scène badass à la John Wick. C’est plus Clarice Starling qui manque de vomir dans une morgue.
Autrement dit, on teste rarement, mais quand on teste, on serre les dents.
Un jeu pour jouer discret, pas pour poser des explosifs
Le jeu est pensé pour des groupes réduits (2 à 3 joueuses), voire en face-à-face. C’est un jeu d’enquête, de terrain, de dissimulation. Les joueuses incarnent des agents de terrain, spécialisés ou pas, mais toujours sous couverture. Leur rôle : enquêter sur des apparitions, récupérer de la technologie, neutraliser les témoins… et repartir sans laisser de trace.
Les scénarios se jouent à huis clos, dans les marges, là où les fichiers sont barrés de noir, où les crashs sont des « accidents météorologiques » et où le FBI n’est jamais loin. Il faut bluffer, bricoler, manipuler, faire disparaître, falsifier. Et parfois tirer. Mais ça doit être propre.
Des aliens, oui. Mais pas comme dans les films
Et côté extraterrestres ? Là aussi, Majestic 12 sort le grand jeu. Douze peuples décrits avec un luxe de détails : les Reptiliens infiltrés, les Dracos planants, les Petits-Gris clonés en série, les Lyriens nostalgiques, les Pléiadiens façon gardiens cosmiques, les Troödons fans de géologie…
On pourrait se moquer, mais en fait non : ça tient la route. Le jeu assume son inspiration complotiste, mais la retourne pour en faire une matière narrative cohérente. On joue dans un monde où les grands mythes ufologiques sont vrais… mais rationnalisés à la sauce militaire. Et ça marche.
Un mot sur le livre
L’édition est claire, agréable à lire. Illustrée avec soin par Guillaume Jentey et Lady Denki, elle donne une belle ambiance rétro-techno, ni kitsch ni trop sérieuse. Le ton reste mesuré, jamais racoleur. Et ça fait du bien. Un scénario d’intro (Attack of the Flying Cows) est inclus, et la maquette respire. C’est du travail bien fait.
En conclusion ?
C’est un jeu qu’on n’attendait pas, et qui mérite qu’on s’y attarde. Parce qu’il est original, bien pensé, et terriblement inspirant. Parce qu’il nous replonge dans cette époque fascinante où l’ufologie faisait la une des tabloïds, où les gouvernements menaient des projets secrets dont on ne saura jamais tout, et où les films de science-fiction ressemblaient à des rapports classés Top Secret.
Majestic 12, c’est un peu la version jeu de rôle d’un vieux dossier oublié dans un placard gouvernemental.
Et nous, on aime bien ce genre de placards.
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