Le principe ? Raconter une bonne tranche de fantasy en moins de 100 lignes ET avec un artefact merveilleux .
Vous chevauchez péniblement sous un soleil de plomb, dodelinant, juché sur un vieux et fidèle canasson harassé, lui aussi, par la chaleur. La sueur perle abondamment de votre front et inonde littéralement votre robe bien peu pratique pour une activité équestre. Que ne donneriez-vous pas pour un peu d’ombre et votre péché mignon, une bonne coupe fraîche d’eau bénite.
Au détour d’un virage, à demi préservé par de courts buissons, un homme harnaché d’étrange manière, arborant un chapeau au brun écru et à larges bords, attend patiemment sur une pierre plate au bord du chemin, un sac au dos, des ballots de lin à son côté.
« Ho camarade ! Je te souhaite la bonne journée. Mais dis moi voisin, avant de poursuivre plus loin, écoute donc mon palabre amical et intéressé ! J’ai assurément dans mes besaces un objet ou deux dont tu as grandement besoin ».
Et tandis qu’il finit sa phrase, le colporteur bondit sur ses fines jambes toniques et entreprend de farfouiller dans un de ses sacs de toile. Vous n’avez pas encore dit un mot que votre cheval interprète votre pause et vos hésitations à continuer comme une invitation bienvenue à brouter l’herbe grasse sur le bas-côté. Se précipitant vers vous les bras chargés, le colporteur, lui, a flairé le client.
« Tenez mon brave, voyez par vous-même. Une superbe paire de mitaines en cuir de dragon émeraude ! Peau véritable. Ah, c’est pas d’la corne de gonade si j’puis m’permettre, m’sieur ! Malheureusement, j’ai perdu le certificat qui l’authentifie dans un drame affreux. Affreux, vraiment. J’vous raconte ? Mais je vous embête avec ces vieilles histoires, hein ? Bien entendu, toutes mes marchandises sont d’essence magique et de la plus haute qualité. Voyez ces gants, par exemple, ils protégeront efficacement vos mains du froid ou de la pluie. Ils garantissent une immunité relative au souffle de feu des dragons marins. Et peuvent même amener un retour d’affection de l’être aimé. Si si ! Je vous assure, je les ai testés évidemment ! Ils sont poinçonnés par un travailleur du cuir, ancien moine trapéziste reconverti dans la tannerie. Une bien belle histoire, oui mon bon ! Et pour ne rien gâcher, ils sont renforcés de fines plaques de mithril au niveau des articulations mét… euh métacagou…ah !… métacarpo-phalangiennes ! Vous pourrez ainsi les utiliser en armes de poing. Vous n’êtes pas prêt de vous faire emmerder par un gobelin, moi j’vous l’dis ! Alors ? Vous les prenez ? »
La logorrhée ou diarrhée verbale de votre interlocuteur – appelez la comme vous voulez – vient de vous mettre un soudain mal de crâne carabiné. Du genre attaque à la pelle, à la pioche et aux chansons paillardes naines, m’voyez ? Sans faiblir, vous lancez un discret sort de restauration et de soin des céphalées majeures puis décliner l’offre.
Ils sont beaux certes. Très attirants même. Mais vous n’aviez pas vraiment prévu une telle dépense. Et il faut également dire que dans votre clergé, on ne rigole pas trop avec les achats dispendieux et ostentatoires. Pour aucun trésor, vous ne souhaiteriez vous faire botter le cul par le père abbé de votre ordre monastique régulier de libraires combattants. D’autant plus, qu’ancien guerrier, ce dernier a gardé la fâcheuse manie de porter ses solerets d’armure et d’en faire tâter les désobéissants. Massant par avance vos fesses à cette évocation douloureuse, résigné, vous répondez donc par la négative.
« Je vous remercie, mais non. Je ne puis me permettre une telle dépense facultative. D’autant plus que, comme vous pouvez le constater, je ne porte pas de cuir. Jamais, ô grand jamais, depuis que cela m’a déclenché une crise abominable d’urticaire. Des démangeaisons terribles. A rester crémé des jours durant d’un onguent curatif infect à base de viscères de vipère et d’abats de chat réduits en poudre. Alors non. Merci. ».
Une fugace empreinte de déception put se lire sur le visage du colporteur. Cependant, celui-ci, ayant poussé loin ses compétences de bagout et fort de son expérience face à des clients difficiles, se révéla loin de s’avouer vaincu.
« Si cela relève d’une difficulté de paiement, il y a toujours moyen de s’arranger. Une babiole sacrée pourrait largement faire l’affaire ! Une relique textile de Saint Tsoin ou le onzième orteil de Sainte Frénégonde. Vous voyez le genre… ».
Mais voyant surtout votre air courroucé de grenouille de bénitier devant une telle proposition indécente et sacrilège, celui-ci se ravise rapidement. Vous avez rosi, rougi puis pris une teinte violacée. Et généralement, c’est mauvais signe dans une vente.
« Sinon, j’ai ce splendide bâton de mestre laqué à la brume pourpre et très légèrement patiné. Il a une ou deux éraflures, je vous l’accorde et j’en tiendrai compte dans le prix, mais il est issu d’une magie antique. Antédiluvienne même. Le vénérable sage qui me l’a vendu m’a assuré qu’il pouvait tout aussi bien envoyer des boulets de feu, des pics de glaces, des jets d’acide, des nuées de criquets. Polyvalent est le mot que vous cherchez je crois ! Mais je vous avoue que je ne me rappelle plus s’il est complètement chargé – tout du moins pour la nuée de criquets.
Tenez, tenu à bout portant, il produit un redoutable arc de flammes si vous lui imprimez le mouvement circulaire adéquat. Allez y, essayez ! Eh ? Avec ça, vous allez vous en faire rôtir des saucisses, pas vrai ? Ou mieux. Mieux ! De sordides sorcières ! Pas mal. Pour la foi, hein ! Et tout le tralala ! »
A ce point précis, le colporteur est à la frontière de ce que vous pouvez admettre au nom de la tolérance de la part d’un mécréant manifeste. Un mot de plus en ce sens, et vous lâchez un fléau quelconque, dedieu ! Bref, vous vous emportez quelque peu :
« Mais qu’est-ce que vous voulez que je foute avec un bâton de magicien ? J’suis prêtre de Maëlsaël, moi. Pas un marmonneur bonimenteur de barbichu de tour d’ivoire ! Alors rangez votre bazar et laissez moi passer ! »
« Calmez vous, voyons. Nous commerçons en tout bonne foi et civilité. Monsieur est rude en affaires, mais j’ai ce qu’il vous faut ! Je vous l’assure ! »
Alors que aviez resserré votre étreinte sur les rênes de votre cheval, prêt à repartir, celui-ci brandit un bel instrument. A vent. Votre œil expert croit déceler un objet véritablement noble, peut être même sacré et un soupçon de convoitise naît en vous.
« Bien, bien, bien. Je pensais pouvoir le vendre à un antiquaire de ma connaissance à Port Groînn, mais vous m’avez convaincu. Il est à vous si vous pouvez y mettre le prix. Monsieur, vous avez sous les yeux un objet merveilleux dépassant l’entendement et dont les largesses vous combleront entièrement. Un appeau du destin ! Oui, Monsieur ! Soufflez dedans et la bonne fortune rapplique ! Faites le chanter et vos compétences seront renforcées, votre expérience confirmée, vos hémorroïdes disparues ! L’appeau du gain à tous les étages ! Vous l’achetez, disons trente pièces d’or, et puisque vous êtes du clergé de Maëlsaël, je vous rajoute un flacon de poivre moulu des vers du sud pour assaisonner vos soupes sacrées. Une pincée et vos papilles décollent. Pour sûr ! »
Le marchand ambulant affiche un sourire satisfait, sûr de son effet. Il fait danser l’appeau à votre barbe et sous votre nez proéminent.
Trente pièces d’or ! « La belle affaire ! », pensez-vous brièvement. Et en plus, avec les impôts que vous venez de prélever à des rentiers et des propriétaires terriens au nom du denier du culte, vous avez largement ce qu’il vous faut dans la sacoche qui pend à vos côtés. La somme devrait être indolore dans les comptes de l’abbaye…Ni une, ni deux, vous sautez sur l’occasion et les cordons de votre bourse.
« Ah voilà ! Et un client satisfait en plus ! Essayez la sans attendre mon brave ! Mais pour ma part, je dois vous laisser séance tenante. J’ai à faire derechef et l’on m’attend ailleurs. A la r’voyure camarade ! ».
Le colporteur vous sourit d’un air jovial tout en pliant ses quelques bagages. Puis en vous lançant un dernier salut amical, quitte le chemin poudreux pour s’enfoncer dans les bois sous une canopée fraîche et protectrice. Vous notez sans plus y tenir attention que celui-ci vous avait dit partir en ville et qu’il n’a pas pris la bonne direction. Bah, après tout, s’il aime les détours forestiers…
Pleinement content de votre achat, vous lui retournez distraitement son geste d’adieu tout à votre bonheur d’avoir acquis un objet fabuleux et portez le pipeau…euh pardon l’appeau à vos lèvres.
♪♫ Tuu Tuuuuûû…♫