Les personnages des joueurs doivent-ils être mortels ?

J’ai tué des centaines de personnages dans ma carrière de MJ, la question ne semble pas se poser pour moi. Je pratique surtout le jeu de rôle d’horreur. C’est assez logique que je ne sauve pas les personnages. Mais dans du jeu de rôle d’aventure, pourquoi les personnages devraient-ils mourir ? J’ai vu souvent des joueurs…

J’ai tué des centaines de personnages dans ma carrière de MJ, la question ne semble pas se poser pour moi. Je pratique surtout le jeu de rôle d’horreur. C’est assez logique que je ne sauve pas les personnages. Mais dans du jeu de rôle d’aventure, pourquoi les personnages devraient-ils mourir ?

« Vous ne volez pas une moto pour vous lancer dans une course-poursuite effrénée si les policiers ont des flingues. »

J’ai vu souvent des joueurs hésiter à faire prendre des risques à leur personnage. A cause des points de vie sur la feuille. Même si vous pratiquez un jeu étiqueté aventure, vous ne sautez pas de toit en toit si il y a des points de vie sur votre feuille. Ou seulement l’heureux élu qui a la compétence Athlétisme à 90 %. Vous ne volez pas une moto pour vous lancer dans une course-poursuite effrénée si les policiers ont des flingues. Vous ne faites pas des loopings arrière avec votre vaisseau spatial si pour le payer vous vous êtes endetté à mort auprès d’un usurier de la mafia. Est-ce que ça serait pas intéressant de savoir ce qui se passe si le personnage glisse sur une gouttière, si la poursuite du méchant se double d’une prise en chasse par les flics, si l’intrépide pilote du vaisseau a des embrouilles avec la mafia ? Hélas, si les joueurs ne prennent pas le risque, ces péripéties imprévues n’auront tout simplement pas lieu.

Je ne m’adresse pas ici aux auteurs. Certains jeux d’aventure ont déjà aboli les points de vie. Je m’adresse aux MJ. Ils maîtrisent un jeu qu’ils aiment. Les héros y sont censés être super cool et braver la mort à chaque instant. Mais dans les règles, ils peuvent mourir sur un simple fumble. J’essaye en commençant un nouveau jeu de lui laisser une chance en jouant les règles à la lettre. Mais que se passe-t-il quand ça ne fonctionne pas comme le promet le livre, ou comme moi je veux que ça fonctionne ?

Je crois que ça vaut vraiment le coup de tenter l’expérience. Les joueurs ne sont radins que quand il y a des ressources à économiser. Si c’est open bar, ne deviendront-ils pas généreux ?  Supposons les mêmes situations d’aventure sans point de vie. Les personnages se savent mortels mais sont des risque-tout. Les joueurs savent que les personnages ne vont pas mourir parce que c’est mécaniquement impossible. Pas parce que le MJ a promis de faire attention et d’être gentil. Parce que c’est carrément interdit de mourir. Observons les comportements à la table avec ce changement tout simple. Les PJ vont tout à coup passer tout la séance à sauter de toit en toit, marcher sur les braises et rebondir sur le dos des requins. Parce que les règles ne sanctionnent plus ces comportements. Si je supprime les points de vie, faites-le vraiment. On pourrait se lancer un numéro d’équilibriste en distribuant des points de destin. Mais ne serait-ce pas juste une nouvelle ressource que les joueurs économiseront… en ne prenant aucun risque superflu ?

Un changement en apporte un autre. Jouer sans point de vie, c’est réfléchir à la durée et à l’enjeu d’un affrontement. Soit on admet que les PJ viendront forcément à bout de l’adversité, du moment qu’ils y consacrent suffisamment de temps, soit on fixe des conditions de victoire différentes de « Je suis le dernier homme debout ». On redonne du sel à des alternatives au combat létal. Capturer, assommer, neutraliser… ou convaincre. D’ailleurs, que se passe-t-il si les PNJ n’ont pas non plus de point de vie ? Que pourrait-on supprimer d’autre pour redonner de la confiance aux joueurs ? Les compétences ? Le matériel ? La hiérarchie ?

Enfin, cette immortalité nouvellement acquise peut redonner un sens à la mort. On peut déclarer que certaines scènes cruciales restituent la mortalité des PJ. Pire encore, jouer en mort subite. Là, les climax vont tuer. Mais vraiment. Et si justement un PJ meurt à ce moment là, ça prendra une tournure tout à fait dramatique parce que sa mort aura eu un sens.

Puisque j’ai commencé à parler du jeu de rôle d’horreur, et si on y supprimait aussi les points de vie ? L’intello de service osera-t-il alors descendre dans la cave pour savoir ce qui a fait du bruit ? Si on donne l’immunité aux personnages dans les deux premiers tiers du scénario, ils saisiront l’occasion d’explorer le scénario de fond en comble. Conséquence ? Voir leurs amis crever, leur cohésion de groupe et leur mental s’effondrer. Et si on passait en mode mort subite juste le dernier tiers, quand la chose qui a pris possession du corps de l’intello passe à l’action ?

Et puisqu’on est fou, pourquoi serait-ce au MJ de décider du passage en mort subite ? Si on laissait aux joueurs la liberté de décider, au vu des événements, qu’à ce moment précis, il y a un vrai enjeu, un vrai danger, qui motive autant les personnages que les joueurs ? Si toute la tablée est d’accord pour récompenser le boulot du MJ, alors la tablée mettra dans la balance la vie de personnages qu’on a vu flamboyer sans complexe dans tout le reste de la partie.

Pour tout cela, j’ose croire qu’il y a quelque chose à gagner en perdant de la mortalité.

Thomas Munier est l’auteur de Millevaux Sombre, un supplément de contexte pour le jeu de rôle Sombre. Il prépare aussi Inflorenza, un jeu de rôle pour incarner des héros, des salauds et des martyrs dans l’enfer forestier de Millevaux, qui applique à la lettre les conseils de cet article.

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Commentaires

10 réponses à “Les personnages des joueurs doivent-ils être mortels ?”

  1. Avatar de Guigs

    j’envisage d’écrire un article : Pourquoi les joueurs sont mortels ? (en jeux d’aventure aussi)
    En tentant de résumer ce que pourrait être cet article contradictoire qui lutterait ainsi contre une forme d’assistanat dont cet article fait un peu l’apologie :
    Mes joueurs prennent des risques inconsidérés
    Non un personnage qui n’a jamais conduit une moto ne peut pas se sortir d’une course poursuite
    Une mécanique d’immortalité rendraient les joueurs idiots, violents, anarchistes.
    Ne pas confondre : joueurs mortels et peureux avec joueurs mortels donc peureux.
    Le pb ne vient pas des règles mais bien de celui derrière la feuille.

  2. Avatar de Iso CircumVector

    Et depuis l’article, il y a eu aussi « Clones » avec Bruce Willis, et la série TV « Real Humans » qui apportent quelques exemples de plus.

  3. Avatar de Iso CircumVector

    J’attends avec impatience ton futur article. Tu nous tiens au courant ?
    Pour commenter cet article en particulier, je dirais qu’en tant que MJ je me laisse toujours la possibilité de faire mourir des PJ, même si parfois ça me crève le cœur… Après tout ce sont les héros de l’histoire, et je suis toujours désolé de ne pas les voir aller jusqu’au bout.
    Mais comme seul le plaisir de l’histoire vécue devrait être notre moteur à tous autour de la table, parfois le plaisir (ou le frisson) passe par la mort des personnages principaux (cf : Georges R Martin et Games of Thrones). Alors faut-il un point de règle pour rappeler ça aux joueurs, ou un avertissement du MJ en début de partie suffit-il ?

  4. Avatar de Thomas Munier

    Merci à vous tous pour vos commentaires ! Ce que j’apprécie, c’est que vous proposez d’explorer des réponses différentes au problème que j’évoque. Si je propose de le résoudre par la mécanique, Iso l’aborde par le contrat social, Davidalpha par l’univers, Guigs par l’arbitrage du MJ, et Benoit par des alternatives « coupantes » à la mort (son commentaire ne s’affiche pas encore mais je suis dans le secret des dieux).
    Pour rebondir sur les propos de Guigs, qui craint que l’immortalité rendent les PJ idiots, violents et anarchistes ? Et si on tentait le coup une fois pour voir ?

  5. Avatar de Imrryran

    Je suis bien d’accord avec toi Thomas, enlever le risque de mort libère les joueurs, les pousse à prendre davantage de risques.

    Ceci dit immortel ne veut pas dire invulnérable et si plutot que de faire perdre des points de vie pour tout et rien on laisse le joueur décider de son sacrifice (un ami ? un objet ? un trait ?) alors non seulement il est libéré car il ne craint plus de perdre betement son personnage, mais en plus on génère des dilemmes, de la tension narrative.

  6. Avatar de Thomas Munier

    A Imrryran : Dans Démiurges de Frédéric Sintes, on peut faire ce genre de sacrifice pour réussir une action. A ce propos, Démiurges, il n’est pas possible de mourir avant la fin du scénario. J’ai un projet de système gritty pour Millevaux, Arbre, où tous les « points de vie » du personnages seraient en fait des ressources : matériel, amis, savoirs…

  7. Avatar de pisco
    pisco

    Ce sujet est extrêmement intéressant. On touche au fondement du JDR. Lorsque je maitrisais CoC il y a -gasp !- presque 25 ans, je gérais les pv et les points de santé mentale. Je ne disais plus : » tu perds un 1d6 de San  » mais aux autres joueurs « vous voyez Joe complètement choqué, pâle en train de baver » … ou encore « tu te prends une balle et tu saignes abondamment » et non « tu enlèves 8 pv ». Les joueurs jouaient au lieu de gérer leur feuille de perso. C’était génial !
    Sinon je me suis rendu compte que pour accrocher un joueur à son personnage il fallait parfois lui faire approcher la mort et le sauver « in extremis », par coup de bol … (les dés ne sont là que pour faire du bruit derrière le paravent) et aussi récompenser l’action d’éclat par de l’indulgence (mais pas trop non plus). En tout cas jamais de mort inutile du style « tu glisses,tu tombes tu meurs ». Il m’est aussi arrivé de faire jouer un pnj par un ami au sein d’un groupe -les « vrais » joueurs pensent qu’il fait partie du groupe – pour mieux pouvoir le tuer. Ce complice est alors un aide du gamemaster
    Enfin plein de petits trucs et astuces pour ne pas tuer les joueurs mais pour toujours leur faire croire que c’est dans l’ordre du possible. …
    Pour les manipuler en somme …

  8. Avatar de Iso CircumVector

    Et parfois puisqu’on est dans le jeu fantastique, rien n’empêche un personnage mort de continuer à jouer et à participer à l’histoire… sous forme d’un fantôme… Et si tous les Personnages sont morts, alors ça donne un autre style de jeu… Kult ou Wraith proposent ce genre de possibilité.

  9. Avatar de Thomas Munier

    J’apprécie que vous continuiez à proposer des alternatives. les PV cachés, j’ai pratiqué aussi, c’est vrai que ça fonctionne bien. Dans un même ordre d’idée à Coc, j’avais une copie de chaque feuille de perso pour gérer mes jets de dés secrets. Après, ce sont des techniques illusionistes, mais si les joueurs aiment cette façon de faire, ça fonctionne.

    Le coup des fantômes que propose Iso, c’est une bonne idée aussi, je l’ai vu récemment dans quelques parties récentes (c’était sur des jeux à autorité partagée, donc c’est les joueurs qui l’ont proposés). ça me rappelle un MJ qui nous avait fait faire une partie de Monde des Ténèbres où certains d’entre nous sont « morts » pour connaître une seconde vie de vampire.