Tintin en JdR : l’aventure oui, la copie non

On a tous un rapport étrange avec Tintin. Certains ont lu les albums jusqu’à les user, d’autres l’ont surtout connu par les dessins animés passés en boucle à la TV. Et parfois, on se surprend à réentendre la fameuse musique du générique et Tintin qui dévale les escaliers de Moulinsart et à se dire :…

On a tous un rapport étrange avec Tintin. Certains ont lu les albums jusqu’à les user, d’autres l’ont surtout connu par les dessins animés passés en boucle à la TV. Et parfois, on se surprend à réentendre la fameuse musique du générique et Tintin qui dévale les escaliers de Moulinsart et à se dire : « Tiens, ça ferait un bon début de scénario de jeu de rôle, non ?« 

Mais c’est là que ça coince. Parce que reproduire Tintin, en jeu de rôle, ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Il y a une envie sincère, un amour du décor, du rythme, de l’ambiance. Mais il y a aussi tout un tas de trucs qui bloquent. Alors on va en parler.


Ce qui donne envie

Tintin, c’est l’appel de l’aventure sans fioritures. Pas besoin de dragons ni de portails dimensionnels : un faux tableau, une valise suspecte, un coup de téléphone en pleine nuit, et nous voilà embarqués vers la Syldavie ou une ancienne cité incas. Et c’est bien cette structure qu’on aime : un héros baladeur, des révélations en cascade, des ennemis plus grands que… euh non, des ennemis grotesques mais réels.

L’univers de Tintin est un appel au dépaysement : cargos, souks, temples perdus, fusées lunaires. Il est réaliste sans être documentaire, burlesque sans être absurde. Et surtout : tout le monde peut y jouer. Pas besoin de maîtriser un grimoire de règles. Un simple « Qu’est-ce que vous faites ? » suffit.


Et ce qui coince

D’abord, il y a les personnages. Tintin, Haddock, Tournesol, les Dupondt… Ils sont formidables à lire ou à voir, mais impossibles à incarner. Ce sont des figures fixes. Ils n’évoluent presque pas. Jouer Tintin, c’est être parfait sans raison. Jouer Haddock, c’est avoir un quota de jurons par scénario. C’est drôle, mais pas très ludique.

Ensuite, il y a l’ambiance. Elle est très marquée par son époque : années 30 à 50, mais avec un flou volontaire sur la Seconde Guerre mondiale, jamais abordée. Et il y a aussi les stéréotypes : les noms caricaturaux, les peuples réduits à des décors, les rôles de femmes quasiment inexistants. On peut être attaché à Tintin et en même temps sentir qu’il est un peu trop figé dans une imagerie de carte postale d’avant la décolonisation.

Et enfin, il y a les droits. L’univers de Tintin est extrêmement protégé. Utiliser les noms, les dessins, les personnages, c’est s’exposer à un bon vieux refus d’exploitation. Bref : autant ne pas s’embêter.


encadré

Note de copyright (à ne pas zapper)

Et les droits, alors ?

Oui, l’univers de Tintin est extrêmement protégé. Hergé ne voulait pas de « Tintin sans Hergé », et la fondation Moulinsart (aujourd’hui Tintinimaginatio) veille au grain comme un Dupondt surveille sa moustache.

Aux États-Unis, Tintin au pays des Soviets est libre de droits depuis 2025, car publié en 1929. D’autres albums suivront, uniquement là-bas, à mesure que les délais de copyright s’écoulent.
Mais en Europe, où Hergé est mort en 1983, le délai est de 70 ans après la mort de l’auteur. Donc, pas de domaine public avant 2054 minimum.

Bref : si tu veux créer un JdR « à la Tintin », mieux vaut t’inspirer de l’ambiance, du style, des mécaniques de récit… mais éviter d’utiliser les noms, visuels ou extraits sans détourner lourdement.
Même un petit champignon en forme de fusée peut attirer les foudres du capitaine Juridix.


Que faire alors ?

S’inspirer sans copier. Prendre la mécanique, pas la vitrine. On peut construire un jeu ou un scénario avec :

  • un jeune reporter fictif ou une aventurière à gants blancs,
  • des lieux imaginaires mais cohérents (la Syldavie devient la Valgorie, la Bordurie devient la Narpolie…),
  • des ennemis grotesques mais dangereux,
  • des objets mystérieux (amulette, invention, document) au cœur du mystère.

Et là, tout devient possible.


Féminiser l’aventure sans forcer

Pas besoin de faire « Tintinette ». Il suffit d’ouvrir le casting : exploratrices, pilotes, archéologues, militantes, agents doubles, aviatrices, journalistes indépendantes… toutes ces femmes existaient déjà dans les années 30–50, mais on ne les montrait pas.

Le jeu de rôle permet de les faire exister, naturellement. Sans en faire des exceptions, sans en faire des cases. Juste des personnages à part entière. Et ça change tout.


Parler politique sans plomber

Dans Tintin, la politique est déjà là. Dictateurs ridicules, coups d’État, complots, spéculateurs, marchands d’armes. Mais tout est traité avec distance, comme dans un roman d’aventures. Le jeu de rôle peut suivre cette voie, ou bien aller plus loin.

On peut forcer un peu le trait pour dénoncer : un empire colonial en désintégration, un ministère de la propagande grotesque, une entreprise qui s’empare des ressources d’un pays sous prétexte de modernisation. L’exagération devient une façon de critiquer. Ou alors on peut jouer plus sobre : des journalistes confrontés à la censure, des réfugiés politiques traqués, des diplomates pris dans des tensions sourdes.


Et quels jeux pour faire ça ?

Plusieurs jeux permettent de créer une ambiance « à la Tintin » sans y coller littéralement :

On est pas les seuls à se poser la question.


Et si on inventait notre propre monde Tintinesque ?

On garde l’esprit : des héros qui voyagent, des mystères à résoudre, des sociétés secrètes, des gadgets, de l’humour. Mais on change tout le reste. Le reporter devient une enquêtrice téméraire. Le professeur farfelu est une inventrice qui construit des machines à énigmes. Les généraux en uniforme sont remplacés par des PDG déjantés.

Et le monde est en pleine mutation : entre propagande, spéculation, bouleversements technologiques et révoltes populaires. Ce n’est pas de l’héritage d’Hergé qu’on parle, mais de ce qu’on peut en faire.


En guise de point de suspension…

Tintin en jeu de rôle, ce n’est pas une adaptation. C’est une réinvention. Il faut se défaire de l’original pour retrouver ce qui fait vibrer : le mouvement, l’étrangeté, la poursuite, l’humour pince-sans-rire. Ce qu’on aimait petit, on peut le rejouer grand. Il suffit d’y mettre un peu de rébellion, un peu d’équilibre, et beaucoup de plaisir.


Avant sa publication c’est un article qui a déchainé les passions sur le fediverse avec nos auteurs :

et peut-être que l’on y verra aussi participer @scriiipt.wordpress.com



Commentaires

5 réponses à “Tintin en JdR : l’aventure oui, la copie non”

  1. Avatar de patate des Ténèbres

    En tant que MJ pro employant mon propre système, je dois fréquemment transposer des univers de séries télé pour les clients, se souvenant justement de quelques punchlines, de personnages haut en couleur, et outre la problématique de l’adaptation, eh bien pour beaucoup, il n’y a finalement pas grand chose à transposer. Les éléments que l’on retient ne suffisent tout simplement pas à restituer un univers, ne tenant fréquemment qu’à une interprétation particulière, voir même, à un souvenir enjolivé.

    1. Avatar de scriiiptor

      Tu mets le doigt sur quelque chose de très juste : souvent, ce qu’on veut transposer en jeu, ce n’est pas un univers structuré, mais une impression, une ambiance ou même juste une scène qui nous a marqué. Un souvenir bricolé par l’enfance ou la nostalgie.
      Et c’est là que le jeu de rôle peut devenir plus intéressant que la “fidélité” : on ne recrée pas Tintin, on recrée notre idée de Tintin, celle qu’on a gardée, mélangée à d’autres influences. C’est pour ça que les tentatives d’adaptation trop littérales tombent souvent à plat, et qu’un simple clin d’œil ou une mécanique bien pensée suffit parfois à faire mouche.
      Bref, l’essentiel, c’est de donner à la table la sensation d’aventure, même si Milou n’a pas de nom et que la Syldavie est devenue la République Populaire d’Elbonie.

      1. Avatar de patate des Ténèbres

        C’est je pense le piège de ces licences qui font rêver, comme Blade runner ou même Alien, les jeux adaptés par Free league sont très bien ficelés, mais il faut broder et jouer le jeu pour dire que l’on avait vraiment besoin de gammes entières, pour finalement faire à sa sauce en dosant en fonction des souvenirs et sensations cinématographiques. Au final, on en revient à mon cheval de bataille; A quoi peuvent bien servir tout ces jeux de rôles?

        1. Avatar de scriiiptor

          Tu soulèves un point crucial : un jeu officiel, c’est souvent un produit bien construit, avec un cahier des charges, des mécaniques, un lore fouillé… mais est-ce que ça recrée vraiment l’ambiance qu’on a aimée dans le film ou la série ? Pas toujours.
          Le vieux Star Wars D6, malgré sa simplicité, captait l’énergie pulp et le souffle de l’aventure comme peu d’adaptations l’ont fait depuis. Aujourd’hui, certains jeux remplissent des pages, mais la magie reste à l’extérieur du bouquin.

          Parfois, ce qu’il nous faudrait, c’est juste une bonne note d’intention, quelques repères visuels et sensoriels, un cadre souple, et c’est tout. Le reste, c’est la table qui le crée.
          Alors à quoi servent tous ces jeux ? Peut-être à rassurer. Peut-être et surtout à vendre ?
          (Oui quand même oui, faut pas rêver).

          1. Avatar de patate des Ténèbres

            Ah très bien l’exemple Star wars! Oui en effet, le d6 n’as jamais été fou, mais restait complètement secondaire face à la puissance évocatrice offerte par la culture pop, permettant à vraiment tout le monde d’avoir des références, et suffisamment d’espace pour s’approprier l’univers.

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