Il est courant de voir des débats s’enflammer sur les réseaux sociaux ou lors de conventions, à propos de la place de la politique dans le jeu de rôle et la fiction en général. « Le jeu de rôle, c’est fait pour s’amuser, pas pour débattre de sujets politiques, » s’insurgent parfois certains joueurs ou meneurs de jeu. Des phrases telles que « Ne mêlez pas la politique à notre divertissement » fleurissent dès qu’un jeu de rôle aborde un thème qui ne plaît pas à tout le monde. Mais la vérité est plus complexe : tout est politique. Voyons pourquoi.
La politique au cœur de la fiction
Quand on parle de politique, on pense souvent à des partis, des élections ou des débats d’actualité. Pourtant, le terme « politique » désigne en réalité tout ce qui touche à la manière dont la société est organisée, les rapports de pouvoir, la distribution des ressources, et les questions de justice et d’égalité. En ce sens, tout récit, tout univers fictionnel, et donc tout jeu de rôle, repose sur des choix politiques, qu’ils soient conscients ou non.
Prenons un exemple simple : un scénario de fantasy classique où des héros s’opposent à un roi tyrannique. Ce récit, à première vue « évasif », met en scène des questions de gouvernance, de légitimité et de rébellion, des thèmes hautement politiques. De même, le fait d’imaginer une société sans classes sociales, avec des races fantastiques en harmonie, ou à l’inverse, un monde où des conflits raciaux sont omniprésents, relève de choix politiques qui façonnent l’univers et l’expérience de jeu.
Une posture « apolitique » est-elle possible ?
Certains prétendent vouloir rester « apolitiques » en évitant d’aborder des sujets clivants, mais c’est une illusion. Même le simple fait de choisir d’ignorer certains thèmes ou de maintenir le statu quo est en soi un choix politique. Par exemple, dans les années 70, les premières éditions de Donjons & Dragons représentaient souvent les femmes de manière stéréotypée et reléguaient les personnages non blancs à des rôles exotiques ou secondaires. En s’efforçant de rester « neutre », on perpétuait des normes de l’époque. Ce n’est que plus tard que des critiques ont permis de repenser la représentation de la diversité dans le jeu de rôle.
Autrement dit, ce que certains voient comme « neutre » est souvent un reflet des valeurs dominantes de leur époque. Pour les personnes qui subissent les discriminations ou les injustices mises en lumière dans les jeux, ce statu quo n’a rien de neutre ou de dépolitisé.
Politiser, c’est enrichir l’imaginaire
Réaliser que le jeu de rôle est politique n’est pas une mauvaise chose. Cela ne signifie pas que chaque partie doit se transformer en débat militant, mais comprendre les implications de nos récits peut ajouter de la profondeur à nos histoires. Par exemple, en réfléchissant aux systèmes d’oppression, aux luttes sociales ou aux enjeux écologiques dans un univers de jeu, on peut proposer des scénarios plus immersifs, qui interrogent et marquent les joueurs.
On peut aussi faire le choix de créer des univers alternatifs où les inégalités sont abolies, pour imaginer des mondes meilleurs, ou au contraire mettre en lumière des systèmes injustes pour inciter à la réflexion. Le jeu de rôle devient alors un espace d’expérimentation, de critique et de construction de nouveaux possibles.
Des espaces d’évasion, mais pas aveugles
Cela dit, il est tout à fait légitime de vouloir un espace d’évasion où l’on ne se sent pas constamment rattrapé par les luttes politiques de la vie quotidienne. C’est d’ailleurs pour cela que certains préfèrent jouer dans des univers purement fantastiques ou des mondes où les conflits politiques sont simplifiés. Mais même dans ces cas, les valeurs que nous portons transparaissent, que ce soit à travers la manière dont les genres sont représentés, le traitement des minorités, ou encore les structures de pouvoir.
Ce qui est important, c’est d’être conscient de ces choix et de ne pas prétendre à une « neutralité » impossible. Être attentif à la manière dont la fiction peut reproduire ou, au contraire, subvertir les stéréotypes et les dynamiques de pouvoir est un acte de responsabilité créative.
En conclusion : jouer et créer en conscience
Plutôt que de rejeter en bloc l’idée que le jeu de rôle est politique, nous pouvons en faire une force. Le jeu de rôle, comme toute forme de fiction, est un miroir de notre monde, mais il est aussi un terrain de jeu pour l’imaginer autrement. Et si parfois nos récits font écho à des luttes réelles, c’est aussi parce que nous sommes des êtres humains, plongés dans une réalité faite de conflits, de questions éthiques et de choix de société.
Alors, acceptons que tout est politique, et utilisons cette prise de conscience pour jouer, créer, et rêver ensemble de mondes qui nous inspirent.
Commentaires
1 réponse à “Tout est politique, même le jeu de rôle : comprendre et assumer l’impact des récits”
@scriiipt Et vous remarquerez que cela ne devient politique que quand cela concerne le droit des minorités, l'inclusivité et les questions sociales.
Par exemple le cyberpunk sans politique, c'est juste du dungeon-crawling avec des néons.
Et encore; le dungeon-crawling c'est s'introduire chez des gens pour les tuer et les piller tout en prétendant "faire le bien", puisque lesdits gens ont été labellisés "monstres".Mais des orks qui font pareil dans ton village, c'est mal