Il est une vérité que les anciens de l’arcane rôlistique connaissent bien, mais que peu osent effleurer, de peur de basculer dans les abîmes insondables du chaos : le Gardien des Arcanes 1, tel un thaumaturge sur le fil fragile de la réalité, doit, à l’instant où l’inconnu frappe, apprendre à lâcher prise.
Il est aisé, pour un Gardien des Arcanes, de croire que l’univers sur lequel il règne est un tissu d’ordre tissé par ses mains seules. Hélas, telle est la folie de l’orgueil humain ! Car les joueurs, entités imprévisibles, surgissent à la manière de ces forces cosmiques que les textes interdits nomment « abominations », pour détruire la fragile structure d’un scénario bien dressé. C’est ici que le véritable art du lâcher prise s’impose, car résister à l’imprévu, c’est risquer de voir l’univers entier s’effondrer dans les ténèbres du chaos.
Lâcher prise, ou contempler la folie
Lâcher prise, ce n’est pas abdiquer. Non, c’est, au contraire, se plonger dans cet océan d’inconnu, tel un rêveur perdu dans les visions de Kadath, et apprendre à faire corps avec les remous du chaos. Le Gardien des Arcanes doit se permettre d’être emporté par la tempête des idées des joueurs, des suggestions déroutantes et des actions inattendues. C’est ici, dans ces profondeurs marines où l’horizon semble se confondre avec les étoiles, que naît la véritable richesse du jeu. L’univers qu’il croyait sien devient alors le leur, une entité vibrante, mouvante, prête à muter à chaque souffle nouveau.
L’équilibre entre le maître et le multiple
Tout Gardien des Arcanes, s’il ne veut pas sombrer dans la folie des Anciens, doit apprendre à trouver cet équilibre précaire entre son dessein initial et les volontés des joueurs. Trop souvent, les maîtres de jeu, aveuglés par le confort illusoire de leur pouvoir, s’accrochent désespérément à leur vision unique. Mais, dans l’obscurité des royaumes de l’imprévu, seuls ceux qui acceptent de partager la lumière avec d’autres trouvent la voie vers des récits plus vastes et plus terrifiants que tout ce que l’esprit humain peut concevoir.
Chaque idée de joueur est un éclat de ce vide cosmique que nous craignons tant. Au lieu de le combattre, il faut l’accepter, le modeler, et laisser cet étrange chaos prendre forme dans l’univers du jeu. Il en va de même pour le scénario, qui n’est jamais qu’une toile partiellement achevée, sur laquelle les actions des joueurs projettent des ombres nouvelles et fascinantes.
Le Grand Œuvre de l’improvisation
Ainsi, dans ce fragile équilibre entre l’ordre et le chaos, entre le connu et l’inconnu, se révèle le vrai mystère du jeu de rôle. Le Gardien, tel un prêtre des Grands Anciens, doit maîtriser cet art de l’improvisation, sans jamais tenter de tout contrôler. Car en cédant aux forces de l’imprévu, en acceptant que les joueurs soient les architectes du destin, le jeu prend vie d’une manière qu’aucun mortel ne peut entièrement comprendre.
Telle est la sagesse que nul grimoire ne pourra jamais te transmettre. Le lâcher prise, dans sa forme la plus pure, n’est rien de moins que la communion avec ces puissances cachées que nous ne pouvons que vaguement entrevoir, ces mêmes forces qui, des profondeurs de l’Abîme, modèlent nos rêves et nos cauchemars.
- Dans le jeu de rôle « L’Appel de Cthulhu », le Meneur de Jeu (MJ) est appelé le Gardien des Arcanes (GA) ↩︎
Commentaires
2 réponses à “Aux confins de l’abandon : l’art de céder face à l’inconnu”
Mais il est très important que les joueuses ne sachent jamais le lâcher prise de la maîtresse du verbe sinon leur propre exploration partira vers le grand n’importe quoi. Avoir l’humilité de taire son lâcher prise.
L’humilité et la discrétion oui. Il n’est jamais bon de trop voir les coulisses de la création. C’est au MJ de savoir rester humble et discret sur sa technique personnelle du « lâcher prise ».
[…] de l’intrigue. Et là, au lieu de les ramener gentiment sur la bonne piste, j’ai décidé de lâcher prise. Pourquoi pas laisser ces fausses pistes devenir des intrigues à part entière […]