Brèves de Fantasy XII – Raclures de donjon

Catégorisé comme Culture & Loisirs
raclures de donjons

Le principe ? Raconter une bonne tranche de fantasy en moins de 150 lignes ET pour un groupe de 6 !

Brève XII – Raclures de donjon

              Limnar Dass et Belga’Rath Ă©taient de vrais salopards.

           Les pires rumeurs insistantes circulaient autour de ces deux magiciens. Personnages bien peu recommandables, trafiquant dans à peu près tout ce qui touchait à la magie, artefacts ou composants, blanche, noire ou chamarrée, leur appétit d’argent et de pouvoir était de sinistre notoriété et ils n’hésitaient pas à rudoyer, bastonner ou trucider quiconque se trouvait sur leur sente sanglante ou s’opposait à leurs projets crapuleux.

            A Chateausuif, on parlait sous le manteau d’une organisation de combats et de pugilats clandestins tandis que fleurissaient des maisons de passe douteuses sous leur contrôle.

          Bref, vous en venez vraiment à vous demander ce que vous foutez avec ces deux lascars. Sûrement le fait d’avoir été un peu rapide en jugement. Puis cupide, pris la petite bourse d’or synonyme de semi-paiement, appris après coup qu’ils étaient les commanditaires et que pour couronner le tout, ils vous accompagnaient, vous et votre « bande » en formation.

          Il fallait dire Ă©galement que le dĂ©fi semblait Ă  la hauteur de vos espĂ©rances d’aventurier aguerri. On ne vous proposait pas de saccager de l’auberge Ă  pĂ©cores ! Ah non ! LĂ , ce n’était pas moins que le funeste labyrinthe mĂ©phitique d’AnkouShĂ»r, Ă  quelques kilomètres des ruines de MĂ´hr-KerTain’ ! A l’évocation de ce nom, vous n’avez pu retenir une petite gouttelette de perler dans vos chausses et la dilatation d’excitation…de vos pupilles.

        Alors certes, ce donjon était régulièrement visité, parfois nettoyé de ses monstres et de ses trésors, mais il était tellement inextricable, tellement vaste que personne n’en avait fait le tour, ni ne savait vraiment à quoi il servait, ou à qui il appartenait. Quoi qu’il en soit, la population monstrueuse tueuse diverse et parfois avariée était régulièrement renouvelée par une sorte de génération spontanée de nouvelles aberrations ou par les aventuriers passés de vie à trépas.

           Pour la faire courte, il restait certainement de quoi tabasser là-bas et indubitablement quelques coffres à crocheter.

            Bon l’un dans l’autre – et je ne parle pas des deux mages sus-cités – le reste du groupe était semble-t-il plus classique. Heureusement pour vous, un compagnon sage et placide, très voire trop calme, s’était joint à votre équipée.

       Son patronyme de druide Ă©tant incomprĂ©hensible et imprononçable, vous aviez rapidement pris le parti de tous utiliser son nom commun, Milamber. Vivant de peu, de feuilles et d’air pur, il s’habillait d’un pagne au remugle de chèvre et d’un manteau en peau du mĂªme animal. Son Ă©piderme Ă©tait tannĂ© – sĂ»rement par les coups qu’il avait pris sur la caboche – et hĂ¢lĂ©. Souvent sur orbite, il affichait un comportement lunaire et se retrouvait frĂ©quemment en position de voir trente-six Ă©toiles. Mais manifestement, il faisait l’affaire pour les deux mages, peut-Ăªtre pour sa propension Ă  crĂ©er des arbres de camouflage.

         Le cinquième membre de votre coterie se distinguait par un relatif prognathisme, des manières ampoulĂ©es, son Ă©norme Ă©toile du matin aux piquants impressionnants, sa batterie de couteaux et d’injures mais aussi son Ă©locution difficile due Ă  sa mĂ¢choire et des crocs irrĂ©guliers. Guerrier demi-orque, Charles Hyacinthe Albert GruuĂ¼k, dit « Chag » Ă©tait l’un des bĂ¢tards d’un baronnet du comtĂ© de la Yaute, descendant directement de par sa mère des sauvages tribus orques gueules-de-dragon. Son père avait absolument tenu Ă  le prĂ©nommer bien qu’il ne l’ait que rarement vu, tout comme sa mère qui fit une brève carrière dans les geĂ´les du baron pour Ă©teindre les flammes d’une relation interdite. S’il ne brillait pas par sa sagesse, GruuĂ¼k se rĂ©vĂ©la un compagnon sympathique tout au long du chemin, bien qu’un peu soupe-au-lait. Il avait aussi un luth mais ne savait guère en jouer. Au moins, savait-il taper. Fort.

         Une dernière personne composait votre bande d’aventuriers. Une femme. « Enfin ! », me direz vous ! Bah, ben faut dire aussi que dans les mondes engloutis, les donjons infestĂ©s ou les terrains minĂ©s oĂ¹ vous avez traĂ®nĂ© vos guĂªtres, vous n’avez jamais vraiment eu la chance dâ€™Ăªtre dans des groupes oĂ¹ l’élĂ©ment fĂ©minin dominait. Par contre, l’élĂ©ment « de bas Ă©tage » lui Ă©tait bien prĂ©sent. C’est un choix vous savez…

          Myrrhe Ă©tait une belle jeune dame aux cheveux blonds et au nez droit et pointu. D’une rectitude exemplaire – certains auraient dit rigiditĂ© – cette prĂªtresse d’une obscure dĂ©esse de la fĂ©conditĂ© venait des terres du nord, d’au-delĂ  des Monts d’Hiver et des Montagnes du bout du monde connu. Une blinde qu’elle devait marcher celle-lĂ  ! Elle cherchait du boulot lorsqu’elle Ă©tait tombĂ©e sur cette auberge, puis sur votre Ă©quipe. Elle soignait les blessures mineures, notamment au majeur que certains membres du groupe avaient tendance Ă  avoir un peu trop dressĂ©, ce qui leur amenait gĂ©nĂ©ralement des bricoles, sauf Ă  Limnar Dass et Belga’Rath.

      VoilĂ  quelques jours que vous avez quittĂ© ChateauSuif. Et plusieurs heures que vous ferraillez dur dans les entrailles du donjon. Or, il s’avĂ©ra que la progression en AnkouShĂ»r fut beaucoup plus rapide que prĂ©vu. Limnar Dass et Belga’Rath savaient prĂ©cisĂ©ment ce qu’ils voulaient et oĂ¹ ils allaient. De dangereux couloirs et d’opulentes salles furent soigneusement Ă©vitĂ©s, ce qui ne manqua pas de piquer votre curiositĂ©. Les deux mages ne rĂ©pondirent Ă  aucune question. Ils Ă©taient concentrĂ©s sur leur objectif, brillants et complĂ©mentaires, l’un invoquant les forces brutes du feu et de la glace, l’autre convoquant et asservissant des monstres Ă  ses cĂ´tĂ©s. Par contre, ils ne dĂ©bordaient guère de compassion pour leurs camarades, mais leur puissance suffisait parfois Ă  garder la coterie en vie.

          Après avoir dĂ©mis les omoplates d’une escouade de squelettes malingres, vous vous Ăªtes attaquĂ©s de front Ă  une bande d’hommes-scorpions fortement testostĂ©ronĂ©s. Les laissant tronçonnĂ©s ou cuits, vous foncez dare-dare sur une nouvelle salle.

          Lorsque vous levez les yeux après avoir couru dans un sinistre couloir et pris le temps d’avaler quelques goulĂ©es d’air, vous apercevez une haute porte magnifiquement ouvragĂ©e d’or ou passĂ©e Ă  l’or fin. Elle ne possède ni serrure, ni poignĂ©e, signe qu’un artisan peu soigneux a laissĂ© une malfaçon ou qu’un enchanteur y a posĂ© un verrou magique. Les figures gĂ©omĂ©triques et les formes vaguement humanoĂ¯des qui l’ornent ne vous aident en rien Ă  comprendre ce qu’elle cache et recèle.

       Limnar Dass, lui, a dĂ©jĂ  sorti un parchemin de sa besace et entame une incantation dans une langue qui vous est inconnue. Vous nâ€™Ăªtes pas linguiste, mais cela vous intrigue ! Quoiqu’il en soit, le sort semble fonctionner et la porte s’ouvre sans un bruit dans un mouvement de gonds bien huilĂ©s.

        Vous vous cachez les yeux. Par l’embrasure de la porte, une lumière assez vive Ă©mane des murs et filtre vers vous. Un temps d’adaptation oculaire plus loin, vous dĂ©bouchez dans une pièce longiligne Ă  l’intĂ©rieur spartiate, voire quasi-vide. Hormis une autre porte du mĂªme acabit Ă  une vingtaine de mètres devant vous, il n’y a pas de mobilier et le sol est constituĂ© de dalles luminescentes. Une fine fresque aux symboles cabalistiques ou ornementaux dĂ©core les murs. De mĂªme, les dalles sont, elles aussi gravĂ©es de signes distinctifs. Sauf les premières rangĂ©es Ă  l’entrĂ©e de la pièce. LĂ , oĂ¹ vous vous tenez tous.

        A ce point, c’est la grande interrogation. MĂªme les deux magiciens semblent quelque peu dĂ©contenancĂ©s et marquent un temps d’arrĂªt ou de rĂ©flexion.

          « Oserai-je demander à quelqu’un ce que l’on est venu chercher ici ? »

          D’un ton neutre, la réponse de Belga’Rath ne tarda pas.

         « La recette secrète du tzatziki scorpionide… »

      Vous n’auriez su dire si le mage était sincère ou s’il se foutait ouvertement de vous. Cependant, cette saillie fit son effet et tout le groupe s’esclaffa d’un rire gras. L’ambiance n’en fut pas pour autant détendue.

       « Manifestement, nous voici face à une énigme. Prenons le temps d’observer et de réfléchir à ce problème ». Sages propos de la part du druide que beaucoup d’entre vous partageaient. Mieux valait ne pas se retrouver couper en deux par une scie circulaire surgie du sol !

      Le groupe commença donc à élaborer brièvement des hypothèses sur les potentiels pièges cachés sous les dalles en fonction des symboles qui se trouvaient aux murs et leur adéquation – ou non – avec ceux du sol.

    Les deux magiciens semblèrent peu goĂ»ter la patience, la rĂ©solution du problème et jugèrent ces atermoiements comme une perte de temps et un gaspillage d’énergie.Ils avaient peut Ăªtre l’habitude des salles Ă  Ă©nigmes après tout et la connaissance d’un schĂ©ma pour se sortir de ces impasses.

     D’ailleurs, Limnar Dass ne tarda pas à prendre la parole : « Milamber ? Un homme de votre trempe et de votre expérience doit avoir déjà fait face à cela, non ? Ce n’est pas un éventuel piège de pacotille qui va vous effrayer, hum ? Alors, je vous en prie : OUVREZ la voie ! »

      Le ton péremptoire ne laissait guère le choix à la dérobade. Le druide, peu rassuré,s’avança.

     Le pas hésitant, Milamber posa le pied sur la première dalle, agrémentée d’un symbole de rose. En retenant son souffle, celui-ci s’immobilisa. Rien. Aucun son, aucun mécanisme ne se déclencha. Cette pierre était saine, le druide sauf.

       « Et bien ? Qu’attendez vous ? POURSUIVEZ ! »

     Milamber s’exécuta en espérant ne pas se faire scalper par un objet violent no nidentifié. Mais là encore, rien ne se produisit lorsque son pied toucha délicatement une deuxième plaque de pierre choisie de biais à la première.

      « Vous progressez ! Allez, maintenant, ne reculez pas, embrayez sur la troisième, nom d’un CHIEN ! »

     Le druide tergiversa quelque peu mais continua. Il s’avança à nouveau, droit devant cette fois-ci. Il se retourna vers le groupe, heureux de son choix. Juste le temps pour vous de lui rendre un regard effaré avant qu’il ne disparaisse corps et biens dans la trappe qui venait de s’ouvrir sous ses pieds. Les échos des cris de sa chute furent brefs et vous n’eûtes pas les moyens immédiats de lui porter secours.

     GruuĂ¼k proposa courageusement de tourner les talons et de trouver un nouvel itinĂ©raire moins risquĂ©. Il prĂ©fĂ©rait nettement se battre contre des arachnides gĂ©antes ou des cubes gĂ©latineux plutĂ´t que de mourir bĂªtement piĂ©gĂ©.

      « Que dalle ! » aboya très à-propos Belga’Rath.

    Subitement, Limnar Dass et lui-mĂªme empoignèrent Myrrhe, chacun se partageant un bras, une jambe et prirent leur Ă©lan. La prĂªtresse n’eut l’occasion que de pousser un long cri d’orfraie avant que, d’un bel arc descendant, cette dernière ne vienne s’écraser sur plusieurs dalles Ă  la fois.

     Un mĂ©canisme lent et des notes cristallines rĂ©sonnèrent dans la pièce tandis que certains carreaux du sol s’émiettaient. Cependant, Myrrhe n’eut pas Ă  subir le mĂªme sort que Milamber puisque de grosses bulles denses et colorĂ©es surgirent des entrailles du donjon, soulevèrent tranquillement mais inexorablement la prĂªtresse apeurĂ©e vers le plafond et une petite trappe qui venait de s’y ouvrir.

     Myrrhe eut beau vous jeter des regards implorants, vous Ă©tiez les spectateurs impuissants de sa disparition avec GruuĂ¼k. Limnar Dass et Bel’Garath, eux, ne levèrent pas le petit doigt mais Ă©tudiaient les possibilitĂ©s restantes de progression. La trappe se referma d’un coup sec ce qui eut pour consĂ©quence qu’on entendit plus du tout les imprĂ©cations et les insultes blasphĂ©matoires que la prĂªtresse rĂ©serva aux deux mages scĂ©lĂ©rats dans les derniers instants oĂ¹ elle fut visible.

      Afin d’assurer vos arrières, vous Ă©changez un court regard avec GruuĂ¼k, avant de rĂ©aliser incrĂ©dule que le suivant dans l’ordre de marche, c’est vous !

   Imperturbables et menaçants, les deux commanditaires se tournent nonchalamment dans votre direction.

     MĂ©dusĂ©, noyĂ© dans des vagues affolĂ©es de sang qui viennent frapper douloureusement vos tempes Ă  chaque battement de votre cÅ“ur emballĂ©, vous entendez cette raclure de Limnar Dass vous lancer un impĂ©rieux,

      « Alors ? T’AVANCES !? »

Par Darwin Fugu

Taulier de la Taverne du Darw. Mais aussi PROF!, mélomane acharné, fondu de JDR, amateur de séries, agent très très spécial du S.I.E.S.T*, alchimiste es liqueurs et cuistot, arpenteur de chemins divers et variés…ans so on ;-) *cf. - Chroniques de la Chopine :-)

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