Brèves de Fantasy X – L’appeau du gain

Catégorisé comme Culture & Loisirs
Brèves de Fantasy

 Le principe ?  Raconter une bonne tranche de fantasy en moins de 100 lignes ET avec un artefact merveilleux .

      Vous chevauchez péniblement sous un soleil de plomb, dodelinant, juché sur un vieux et fidèle canasson harassé, lui aussi, par la chaleur. La sueur perle abondamment de votre front et inonde littéralement votre robe bien peu pratique pour une activité équestre. Que ne donneriez-vous pas pour un peu d’ombre et votre péché mignon, une bonne coupe fraîche d’eau bénite.

           Au détour d’un virage, à demi préservé par de courts buissons, un homme harnaché d’étrange manière, arborant un chapeau au brun écru et à larges bords, attend patiemment sur une pierre plate au bord du chemin, un sac au dos, des ballots de lin à son côté.

Brèves de fantasy
Eggs and Empires – Merchant ©2014-2015 Sickbrush

            « Ho camarade ! Je te souhaite la bonne journée. Mais dis moi voisin, avant de poursuivre plus loin, écoute donc mon palabre amical et intéressé ! J’ai assurément dans mes besaces un objet ou deux dont tu as grandement besoin ».

            Et tandis qu’il finit sa phrase, le colporteur bondit sur ses fines jambes toniques et entreprend de farfouiller dans un de ses sacs de toile. Vous n’avez pas encore dit un mot que votre cheval interprète votre pause et vos hésitations à continuer comme une invitation bienvenue à brouter l’herbe grasse sur le bas-côté. Se précipitant vers vous les bras chargés, le colporteur, lui, a flairé le client.

            « Tenez mon brave, voyez par vous-mĂªme. Une superbe paire de mitaines en cuir de dragon Ă©meraude ! Peau vĂ©ritable. Ah, c’est pas d’la corne de gonade si j’puis m’permettre, m’sieur ! Malheureusement, j’ai perdu le certificat qui l’authentifie dans un drame affreux. Affreux, vraiment. J’vous raconte ? Mais je vous embĂªte avec ces vieilles histoires, hein ? Bien entendu, toutes mes marchandises sont d’essence magique et de la plus haute qualitĂ©. Voyez ces gants, par exemple, ils protĂ©geront efficacement vos mains du froid ou de la pluie. Ils garantissent une immunitĂ© relative au souffle de feu des dragons marins. Et peuvent mĂªme amener un retour d’affection de lâ€™Ăªtre aimĂ©. Si si ! Je vous assure, je les ai testĂ©s Ă©videmment ! Ils sont poinçonnĂ©s par un travailleur du cuir, ancien moine trapĂ©ziste reconverti dans la tannerie. Une bien belle histoire, oui mon bon ! Et pour ne rien gĂ¢cher, ils sont renforcĂ©s de fines plaques de mithril au niveau des articulations mĂ©t… euh mĂ©tacagou…ah !… mĂ©tacarpo-phalangiennes ! Vous pourrez ainsi les utiliser en armes de poing. Vous nâ€™Ăªtes pas prĂªt de vous faire emmerder par un gobelin, moi j’vous l’dis ! Alors ? Vous les prenez ? »

            La logorrhĂ©e ou diarrhĂ©e verbale de votre interlocuteur – appelez la comme vous voulez – vient de vous mettre un soudain mal de crĂ¢ne carabinĂ©. Du genre attaque Ă  la pelle, Ă  la pioche et aux chansons paillardes naines, m’voyez ? Sans faiblir, vous lancez un discret sort de restauration et de soin des cĂ©phalĂ©es majeures puis dĂ©cliner l’offre.

               Ils sont beaux certes. Très attirants mĂªme. Mais vous n’aviez pas vraiment prĂ©vu une telle dĂ©pense. Et il faut Ă©galement dire que dans votre clergĂ©, on ne rigole pas trop avec les achats dispendieux et ostentatoires. Pour aucun trĂ©sor, vous ne souhaiteriez vous faire botter le cul par le père abbĂ© de votre ordre monastique rĂ©gulier de libraires combattants. D’autant plus, qu’ancien guerrier, ce dernier a gardĂ© la fĂ¢cheuse manie de porter ses solerets d’armure et d’en faire tĂ¢ter les dĂ©sobĂ©issants. Massant par avance vos fesses Ă  cette Ă©vocation douloureuse, rĂ©signĂ©, vous rĂ©pondez donc par la nĂ©gative.

            « Je vous remercie, mais non. Je ne puis me permettre une telle dépense facultative. D’autant plus que, comme vous pouvez le constater, je ne porte pas de cuir. Jamais, ô grand jamais, depuis que cela m’a déclenché une crise abominable d’urticaire. Des démangeaisons terribles. A rester crémé des jours durant d’un onguent curatif infect à base de viscères de vipère et d’abats de chat réduits en poudre. Alors non. Merci. ».

            Une fugace empreinte de déception put se lire sur le visage du colporteur. Cependant, celui-ci, ayant poussé loin ses compétences de bagout et fort de son expérience face à des clients difficiles, se révéla loin de s’avouer vaincu.

            « Si cela relève d’une difficulté de paiement, il y a toujours moyen de s’arranger. Une babiole sacrée pourrait largement faire l’affaire ! Une relique textile de Saint Tsoin ou le onzième orteil de Sainte Frénégonde. Vous voyez le genre… ».

            Mais voyant surtout votre air courroucé de grenouille de bénitier devant une telle proposition indécente et sacrilège, celui-ci se ravise rapidement. Vous avez rosi, rougi puis pris une teinte violacée. Et généralement, c’est mauvais signe dans une vente.

            « Sinon, j’ai ce splendide bĂ¢ton de mestre laquĂ© Ă  la brume pourpre et très lĂ©gèrement patinĂ©. Il a une ou deux Ă©raflures, je vous l’accorde et j’en tiendrai compte dans le prix, mais il est issu d’une magie antique. AntĂ©diluvienne mĂªme. Le vĂ©nĂ©rable sage qui me l’a vendu m’a assurĂ© qu’il pouvait tout aussi bien envoyer des boulets de feu, des pics de glaces, des jets d’acide, des nuĂ©es de criquets. Polyvalent est le mot que vous cherchez je crois ! Mais je vous avoue que je ne me rappelle plus s’il est complètement chargĂ© – tout du moins pour la nuĂ©e de criquets.

          Tenez, tenu à bout portant, il produit un redoutable arc de flammes si vous lui imprimez le mouvement circulaire adéquat. Allez y, essayez ! Eh ? Avec ça, vous allez vous en faire rôtir des saucisses, pas vrai ? Ou mieux. Mieux ! De sordides sorcières ! Pas mal. Pour la foi, hein ! Et tout le tralala ! »

            A ce point prĂ©cis, le colporteur est Ă  la frontière de ce que vous pouvez admettre au nom de la tolĂ©rance de la part d’un mĂ©crĂ©ant manifeste. Un mot de plus en ce sens, et vous lĂ¢chez un flĂ©au quelconque, dedieu ! Bref, vous vous emportez quelque peu :

            « Mais qu’est-ce que vous voulez que je foute avec un bĂ¢ton de magicien ? J’suis prĂªtre de MaĂ«lsaĂ«l, moi. Pas un marmonneur bonimenteur de barbichu de tour d’ivoire ! Alors rangez votre bazar et laissez moi passer ! »

            « Calmez vous, voyons. Nous commerçons en tout bonne foi et civilité. Monsieur est rude en affaires, mais j’ai ce qu’il vous faut ! Je vous l’assure ! »

            Alors que aviez resserrĂ© votre Ă©treinte sur les rĂªnes de votre cheval, prĂªt Ă  repartir, celui-ci brandit un bel instrument. A vent. Votre Å“il expert croit dĂ©celer un objet vĂ©ritablement noble, peut Ăªtre mĂªme sacrĂ© et un soupçon de convoitise naĂ®t en vous.

            « Bien, bien, bien. Je pensais pouvoir le vendre Ă  un antiquaire de ma connaissance Ă  Port GroĂ®nn, mais vous m’avez convaincu. Il est Ă  vous si vous pouvez y mettre le prix. Monsieur, vous avez sous les yeux un objet merveilleux dĂ©passant l’entendement et dont les largesses vous combleront entièrement. Un appeau du destin ! Oui, Monsieur ! Soufflez dedans et la bonne fortune rapplique ! Faites le chanter et vos compĂ©tences seront renforcĂ©es, votre expĂ©rience confirmĂ©e, vos hĂ©morroĂ¯des disparues ! L’appeau du gain Ă  tous les Ă©tages ! Vous l’achetez, disons trente pièces d’or, et puisque vous Ăªtes du clergĂ© de MaĂ«lsaĂ«l, je vous rajoute un flacon de poivre moulu des vers du sud pour assaisonner vos soupes sacrĂ©es. Une pincĂ©e et vos papilles dĂ©collent. Pour sĂ»r ! »

            Le marchand ambulant affiche un sourire satisfait, sûr de son effet. Il fait danser l’appeau à votre barbe et sous votre nez proéminent.

         Trente pièces d’or ! « La belle affaire ! », pensez-vous brièvement. Et en plus, avec les impĂ´ts que vous venez de prĂ©lever Ă  des rentiers et des propriĂ©taires terriens au nom du denier du culte, vous avez largement ce qu’il vous faut dans la sacoche qui pend Ă  vos cĂ´tĂ©s. La somme devrait Ăªtre indolore dans les comptes de l’abbaye…Ni une, ni deux, vous sautez sur l’occasion et les cordons de votre bourse.

            « Ah voilà ! Et un client satisfait en plus ! Essayez la sans attendre mon brave ! Mais pour ma part, je dois vous laisser séance tenante. J’ai à faire derechef et l’on m’attend ailleurs. A la r’voyure camarade ! ».

            Le colporteur vous sourit d’un air jovial tout en pliant ses quelques bagages. Puis en vous lançant un dernier salut amical, quitte le chemin poudreux pour s’enfoncer dans les bois sous une canopée fraîche et protectrice. Vous notez sans plus y tenir attention que celui-ci vous avait dit partir en ville et qu’il n’a pas pris la bonne direction. Bah, après tout, s’il aime les détours forestiers…

        Pleinement content de votre achat, vous lui retournez distraitement son geste d’adieu tout à votre bonheur d’avoir acquis un objet fabuleux et portez le pipeau…euh pardon l’appeau à vos lèvres.

                ♪♫ Tuu Tuuuuûû…♫

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Traveling Merchant ©2012-2015 Xhaztol

Par Darwin Fugu

Taulier de la Taverne du Darw. Mais aussi PROF!, mélomane acharné, fondu de JDR, amateur de séries, agent très très spécial du S.I.E.S.T*, alchimiste es liqueurs et cuistot, arpenteur de chemins divers et variés…ans so on ;-) *cf. - Chroniques de la Chopine :-)

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